« Nous devons revenir aux fondamentaux d’une Sécurité sociale de haut niveau »

Sophie Elorri, présidente déléguée de Mutami (à gauche) et Jocelyne Leroux, présidente de la mutuelle. Montage photo ©Rodolphe Escher/ Alain Velard

Dans un contexte de crise sociale particulièrement rude, Jocelyne Le Roux, présidente de Mutami, et Sophie Elorri, présidente déléguée, reviennent sur les insuffisances du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2024 et nous expliquent pourquoi les mutuelles n’ont pas d’autres choix que d’augmenter leurs cotisations.

Elisabeth Borne a de nouveau activé le 49.3 pour faire adopter le budget de la Sécu. Que pensez-vous de ce projet de loi de financement pour 2024 qui entrera en vigueur au 1er janvier ?

Sophie Elorri : Même si il contient quelques mesures en faveur de la prévention, notamment dans le domaine de la lutte contre la précarité menstruelle, ce projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Nous vivons dans un contexte économique très tendu, certains ont des difficultés à boucler leurs fins de mois et renoncent même à se soigner. Pour répondre à cette crise sociale, les budgets alloués sont largement insuffisants.

Jocelyne Le Roux : Ce projet de loi ne permettra pas non plus d’engager les réformes nécessaires à la transformation de notre système de protection sociale. Le gouvernement avait, par exemple, annoncé une revalorisation salariale pour les personnels hospitaliers et notamment pour les infirmiers. Et avec un objectif national des dépenses de santé à + 3,5 points alors que l’inflation grimpe à 5,8 %, on voit bien que le compte n’y est pas… Nous sommes très inquiets, il est clair que hôpital est à bout de souffle. Et parallèlement, c’est vrai, nous allons vers une augmentation du renoncement aux soins parce que la population est acculée et que certains ne pourront bientôt plus s’offrir de couverture complémentaire.

Justement, les cotisations mutualistes vont-elles encore augmenter ?

S. E. : Oui, mais cela s’explique très simplement. En vingt ans, les taxes sur les contrats santé ont été multipliées par 8. Elles atteignent aujourd’hui 14,1 %. Et depuis plusieurs années, on assiste à un désengagement de la Sécurité sociale et à un transfert de ses charges vers les mutuelles. Le dernier exemple est celui du remboursement des soins dentaires, qui est passé de 70 à 60 %. Ce qui signifie que la part des dépenses restant à la charge des assurés sociaux, relevée de 10 %, est finalement assumée par les complémentaires santé. Et la multiplication de ces transferts de charges fait, qu’à un moment donné, le budget des cotisations mutualistes ne couvre plus les prestations des mutuelles.

J. L. : Nous avons bien évidemment essayé de contraindre au maximum cette hausse. Chez Mutami, elle atteindra en moyenne 7,9 % alors que d’autres organismes de complémentaire santé augmenteront leurs cotisations jusqu’à 12 ou 13 %. En outre, ces hausses sont aussi induites par la réforme du 100 % santé, payée à 80 % par les mutuelles, par l’évolution des dépenses de santé due au vieillissement de la population, au développement des maladies chroniques et aux progrès de la médecine.

Certains affirment que les mutuelles ont des réserves et les moyens de ne pas répercuter les transferts de charge sur les cotisations…

J. L. : Les mutuelles sont des organismes non lucratifs. Elles ne rémunèrent pas d’actionnaires et n’ont pas vocation à s’enrichir. Nous avons, certes, des réserves, mais elles nous sont imposées par des règles prudentielles très strictes et nous n’avons pas le droit de nous en servir.

S. E. : L’objectif des mutuelles est d’être à l’équilibre. Et les bénéfices que nous pouvons éventuellement réaliser sont réinjectés au profit des adhérents pour des actions de sensibilisation, de prévention ou de solidarité.

Carte pétition (jointe dans le numéro de Viva de décembre) pour interpeller le président de la République.

Quelles sont précisément les actions que vous menez pour préserver l’accès aux soins de vos adhérents ?

S. E. : L’an passé, nous avons par exemple participé à la campagne « Pas de taxe sur ma santé » (pas-de-taxe-sur-ma-sante.fr) qui réclamait la suppression immédiate des taxes sur les mutuelles. Cette campagne est renouvelée cette année et nous invitons les adhérents à envoyer une carte pétition (jointe dans le numéro de Viva de décembre) à l’Elysée pour interpeller le président de la République. Nous sommes des militants de la Sécurité sociale et de l’accès aux soins.

Notre objectif est que l’ensemble de la population puisse se soigner dignement. Nous nous joignons donc à toutes les bonnes volontés qui vont dans ce sens. C’est pourquoi nous avons également participé au Tour de France pour la santé, qui a rassemblé plus d’une cinquantaine d’organisations pour réclamer un accès aux soins pour tous et un budget de la Sécu qui réponde aux besoins de la population. Nous soutenons de nombreux mouvements de cette sorte et nous interpellons régulièrement les pouvoirs publics sur ces questions pour faire bouger les lignes.

J. L. : Ce qui est nouveau, ce sont toutes ces initiatives qui alertent sur le mauvais état de notre système de santé. Il faut savoir que les exonérations de cotisations sociales aux entreprises ont atteint pratiquement 80 milliards d’euros en 2022. Nous devons absolument revenir aux fondamentaux d’une Sécurité sociale de haut niveau où chacun reçoit en fonction de ses besoins et cotise selon ses moyens.

Le Tour de France pour la santé a été constitué en réaction au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) au début de l’automne, mais toutes les organisations représentées à la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) ont également voté contre. C’est historique. Cela devrait faire réagir le gouvernement et pourtant non. Il décide d’appliquer le 49.3…

Propos recueillis par Delphine Delarue