« Les crèches subissent une maltraitance institutionnelle »

Julie Marty-Pichon est coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje). Elle fait partie du collectif Pas de bébés à la consigne qui milite pour de meilleures conditions d’accueil des tout-petits.. Photo Emmanuel Grimault

La forte dégradation des conditions d’accueil collectif des tout-petits, notamment en raison du manque de moyens et de la pénurie de personnels, est aujourd’hui pointée par de nombreux professionnels de la petite enfance. Rencontre avec l’une de leurs porte-paroles, Julie Marty-Pichon.

Actuellement, quelle est la situation dans les crèches ?

Julie Marty-Pichon : Les conditions d’accueil se sont très fortement dégradées depuis plus de dix ans, en raison des réformes successives du secteur. Les professionnels sont contraints d’accepter toujours plus d’enfants, mais sans moyens supplémentaires. A cela s’ajoute la pénurie des personnels qui s’est aggravée au moment du Covid. Elle concerne désormais toutes les structures, municipales et privées.

Quelles sont les conséquences au quotidien ?

J. M.-P. : Les équipes n’hésitent plus à alerter leurs employeurs sur le fait qu’elles ne sont plus en mesure d’accueillir les tout-petits comme il le faudrait. Elles peuvent en effet se sentir en danger et avoir des craintes pour la sécurité des enfants. Il faut bien se rendre compte qu’il est très difficile de s’occuper de dix bébés à seulement deux adultes.

Surtout lorsque l’on doit changer les couches de l’un d’eux, et que la collègue se retrouve seule. Parmi les témoignages qui m’ont le plus marquée, il y a celui d’une employée tellement épuisée d’entendre les pleurs des petits qu’elle s’est vue mettre la main sur la bouche d’un enfant pour qu’il se taise.

Les enfants sont-ils en danger ?

J. M.-P. : Le problème ne vient pas des professionnels, qui font vraiment leur maximum. Toutefois, leur priorité est désormais de parer au plus pressé, au plus urgent. Et ils ne sont plus forcément en mesure de satisfaire correctement les besoins des enfants. C’est une véritable question de sécurité. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans un rapport d’avril 2023, parle d’ailleurs de « faits de maltraitances » au sein des structures d’accueil. Mais les crèches subissent avant tout une maltraitance institutionnelle, puisque l’Etat est responsable de ce manque de moyens, et qu’il aurait dû anticiper cette pénurie de personnels.

Il faudrait que la France fasse le choix de changer de paradigme, en sortant définitivement de sa vision patriarcale de la garde des jeunes enfants pour en faire un vrai sujet de société.

De quelle manière ?

J. M.-P. : Le sujet était connu et documenté depuis longtemps. La première raison est d’ordre démographique : il s’agit des départs en retraite des assistantes maternelles ayant débuté dans les années 1980 et 1990. D’ici à 2030, près de 40 % d’entre elles ne travailleront plus, et cela aura de très lourdes conséquences.

La seconde explication tient, elle, au développement massif, depuis quinze ans, des structures de la petite enfance, mises en place sans même se soucier de savoir si les professionnels seraient en nombre suffisant pour les faire fonctionner. De surcroît, il faudrait revoir les taux d’encadrement réglementaires, qui posent un réel problème.

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