« Nous allons travailler à démontrer en quoi il est utile d’avoir des mutuelles en Europe »

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Jérôme Saddier, président d’Ess France (Chambre Française de l’Economie sociale et solidaire).

Au lendemain du scrutin européen, le président d’Ess France, Jérôme Saddier, dit préparer dès à présent des rencontres avec les nouveaux eurodéputés français pour que ceux-ci « aient de bons arguments en faveur de l’Ess ». Selon lui la reconnaissance de l’Ess au plan européen, et en particulier des mutuelles, passe par la notion de « lucrativité limitée » et par l’intérêt du modèle mutualiste dans la période de crise sociale et démocratique que l’Europe traverse : des sociétés de personnes à gouvernance démocratique. Pour vraiment parvenir à la reconnaissance, Ess France revendique la nomination d’un commissaire européen chargé de l’Ess.

– L’Ess s’est beaucoup mobilisée pour ces élections européennes. Comment voyez-vous ces résultats électoraux du 26 mai ?

Il est vrai que les acteurs de l’Ess ont multiplié les initiatives ces derniers mois pour une meilleure reconnaissance de l’Ess au plan européen : le Manifeste de la Mutualité Française, le Memorandum de Social Economy Europe, notre plaidoyer Ess pour l’Europe en partenariat avec le Labo de l’Ess et Rtes (Réseau des collectivités territoriales pour une Economie solidaire) ont tous convergé pour revendiquer une meilleure prise en compte de cette économie alternative. Dans ce cadre, nous avons invité les candidats de six partis à être auditionnés par Ess France parmi lesquels seuls trois ont répondu : Lfi, Génération.s et Eelv. Il faut certainement attribuer à des problèmes d’organisation interne l’absence de réponse de Lrem, LR et des socialistes (liste Envie d’Europe).

Dès à présent, nous allons préparer pour la rentrée de septembre des rencontres avec les eurodéputés français pour que ceux-ci aient de bons arguments en faveur de l’Ess. Bien sûr, le score d’eelv est une bonne nouvelle. Cela marque pour nous une continuité. Mais ce n’est pas un signe suffisant pour être pleinement rassurés quant à la reconnaissance de l’ESS au plan européen. L’enjeu important pour nous est que la recomposition de l’Intergroupe Ess du Parlement européen qui va avoir lieu s’élargisse aux partis qui, jusqu’à présent, en étaient absents : l’Alde (dans lequel devrait siéger Lrem) et le Ppe. Car c’est le seul moyen pour avoir une majorité et faire passer des amendements favorables à l’Ess. Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître que l’Intergroupe de ces dernières années a été très efficace avec des représentants de trois partis : le Pse (Parti socialiste européen), la Gue (Gauche unitaire européenne) et les Verts.

– Quels sont vos arguments auprès des instances européennes pour parvenir à la reconnaissance des mutuelles et du modèle mutualiste ?

Nous ne pouvons plus défendre l’existence des mutuelles en Europe comme une question de principe. Ce type d’approche ne fonctionne pas avec les instances européennes. Dès lors, notre travail est de leur démontrer en quoi il est utile d’avoir des mutuelles dans l’Union. Pour faire admettre ce modèle, nous défendons la notion de « lucrativité limitée » présente dans la loi Hamon Ess de 2014. C’est une notion plus positive que « non lucratif » et qui correspond bien aux activités des composantes de l’Ess comme les coopératives et les mutuelles : elles réalisent des échanges monétaires tout en étant non capitalistes. Nous défendons également la gouvernance démocratique des mutuelles et le fait qu’il s’agit de sociétés de personnes. Il est évident que ce sont des arguments à faire valoir au moment où les citoyens européens manifestent une attente d’une Europe plus sociale, plus humaine, plus démocratique et moins fondée sur la seule libre concurrence.

– Quel serait le nouveau président de la Commission européenne qui vous conviendrait le plus ?

C’est effectivement ce qui importe le plus : qui va être le nouveau président de la Commission ? Est-ce que le Ppe (la droite européenne) va avoir la primauté ? Cela ne serait pas une bonne nouvelle car l’Allemagne et Manfred Weber, qui préside le groupe Ppe au Parlement européen depuis 2014 et qui pourrait prendre la tête de la Commission, ne sont pas des amis de l’Ess. En revanche, pour nous, Michel Barnier est le mieux qualifié, il a montré des signes non pas seulement d’intérêt mais de soutien à l’Ess.

Au-delà du leadership, nous estimons comme essentiel le portage politique de l’Ess à la Commission. Aujourd’hui, il n’y a pas de commissaire européen chargé de ce dossier. Ce serait une véritable avancée qu’un commissaire européen à l’Ess soit nommé : cela permettrait réellement d’avancer sur la reconnaissance avec l’adoption de directives et cela rendrait possible un travail productif entre la Commission et le Parlement. Là encore, je reconnais que la task force Ess dirigée par Ulla Engelmann au sein de la Commission est allée dans le bon sens. Ils ont compris qu’il y avait un sujet. Mais il faut aller plus loin.