Quand envisager l’arrêt d’un traitement pour un malade en fin de vie ? Pourquoi pratiquer une stérilisation définitive sur une jeune personne ? Quotidiennement, des questions éthiques se posent aux soignants mais aussi aux patients. Pour les aider à prendre une décision médicale difficile et réfléchir à ce que soigner veut dire, des centres d’éthique clinique (CEC) existent dans les hôpitaux. Le docteur Nicolas Fourreur, directeur du centre d’éthique clinique de l’AP-HP, basé à l’hôpital Cochin, nous explique leur fonctionnement.
Qu’est-ce qu’un CEC ?
Docteur Nicolas Fourreur : Ces centres se sont développés depuis vingt ans au sein des hôpitaux pour tenter d’apporter une réponse aux différentes questions éthiques que se posent les soignants, les patients et les familles. Ils ont pour ambition de permettre aux uns et aux autres d’exprimer leurs positions et leurs dilemmes au plan éthique.
Ils répondent au cas par cas et en temps réel aux demandes qui leur sont faites. Dans l’équipe, des juristes, des sociologues, des philosophes, mais aussi des citoyens, examinent les dilemmes qui se présentent suivant une grille de lecture rigoureuse. Car ces questions complexes, auxquelles doivent répondre chaque jour de nombreuses équipes médicales, se situent aux confins de la médecine, du droit, de la philosophie et de la société toute entière.
Quelle est l’origine de ces centres ?
Dr. N. F. : L’éthique clinique est née aux Etats-Unis dans les années 1970, sous l’impulsion du professeur Mark Siegler. Selon lui, « savoir débattre d’une question d’éthique clinique fait autant partie des règles de bonne médecine que savoir prescrire le bon médicament ».
En France, le concept a été importé par la cardiologue Véronique Fournier qui a créé le tout premier CEC à l’hôpital Cochin AP-HP à Paris, en 2002, quand la loi sur les droits des patients a été adoptée. Elle avait travaillé auprès de Bernard Kouchner pour donner naissance à cette loi.
C’est elle qui a posé les bases et qui a dû convaincre de l’intérêt de la démarche. Car l’ouverture à d’autres disciplines a bousculé les habitudes. Après vingt ans d’existence, j’ai pu prendre sa suite dans un contexte plus serein.
Concrètement, comment fonctionnent les CEC ?
Dr. N. F. : Plusieurs consultations existent en France sous diverses formes, presque toujours dirigées par des médecins. Le plus souvent, la consultation d’éthique est saisie par l’équipe médicale. Mais ce peut être aussi le patient lui-même, ou sa famille.
La question posée ou le cas présenté est examiné par un groupe pluridisciplinaire. Quel que soit le modèle, cette pluridisciplinarité est essentielle. Chacun livre son opinion, basée sur les principes d’éthique qui sont : la bienfaisance (améliorer la santé du patient), la non-malfaisance (au minimum, ne pas lui nuire – « Primum, non nocere », disait Hippocrate), la justice (égal accès aux soins et juste répartition des ressources de santé, mais aussi la loi ou les règles de bonnes pratiques, etc.) et enfin le respect de l’autonomie du patient. Puis, une décision aussi collégiale que possible est prise.
Le Covid a-t-il changé la donne ?
Dr. N. F. : Aujourd’hui, plusieurs consultations d’éthique clinique existent. Durant l’épidémie de Covid, plusieurs hôpitaux ont créé des cellules éthiques afin d’établir des « critères de soins et d’admission ». Car pendant cette période, de nombreuses questions éthiques, notamment en Ehpad, ont émergé en urgence. La menace du « tri » des patients est rapidement apparue dans les esprits. Mais l’hôpital a rarement aussi bien fonctionné sur un objectif commun de lutte contre l’épidémie.
Dès le 13 mars, le centre d’éthique clinique de l’AP-HP s’est organisé en « cellule éthique de soutien ». Une permanence téléphonique 24 heures sur 24 s’est ouverte. Les demandes ont été à la fois plus nombreuses, mais différentes de celles reçues habituellement. Nous avons été sollicités davantage pour des questions que nous qualifions d’organisationnelles, comme :
• Comment rester éthique dans nos décisions si nous sommes obligés, par manque de moyens, de choisir de traiter un patient plutôt qu’un autre ?
• Pour les personnes âgées en Ehpad : pourquoi un isolement pour des publics qui ne comprennent pas l’intérêt du confinement ? Faut-il interdire les visites ?
Autant de questions auxquelles il nous appartient de réfléchir aussi dans le cadre de notre métier.
A lire : l’aide-mémoire de Véronique Fournier et Nicolas Foureur, paru aux éditions Dunod, qui présente dix cas d’éthique clinique et dix chapitres méthodologiques pour accompagner les soignants dans leur pratique au quotidien. Les repères proposés sont également utiles aux étudiants des filières médicales et paramédicales, ainsi qu’aux professionnels, soignants ou non, travaillant dans une structure d’éthique clinique hospitalière.