« Sur les soins dentaires, l’objectif du gouvernement est de poursuivre les déremboursements de la Sécu » (Mutuelles de France)

Baisse de la prise en charge des soins bucco-dentaires par la Sécurité sociale © 123 RF
Baisse de la prise en charge des soins bucco-dentaires par la Sécurité sociale © 123 RF

En juin dernier, l’exécutif annonçait une baisse de la prise en charge des soins bucco-dentaires par la Sécurité sociale. Ce nouveau déremboursement va donner lieu à un transfert de charges de 500 millions d’euros vers les complémentaires santé. Et en conséquence, une augmentation des frais de santé pour les assurés sociaux. Explications avec Jean-Paul Benoit et Nicolas Souveton, président et vice-président de la Fédération des Mutuelles de France.

Quelles sont les conséquences de la baisse de la prise en charge des soins bucco-dentaires par la Sécurité sociale, décidée en juin par le gouvernement ?

Jean-Paul Benoit : Le gouvernement a annoncé une hausse du ticket modérateur de 30 % à 40 % sur les soins bucco-dentaires. Ce qui signifie que la part des dépenses restant à la charge des assurés va augmenter de 10 %. Cette mesure comptable ne poursuit aucun objectif de santé publique. Le but est uniquement de diminuer les remboursements de la Sécurité sociale. Et ce sont les assurés sociaux qui vont devoir en payer le prix.

Par le biais des complémentaires santé ?

Nicolas Souveton : Contrairement à ce que prétend le gouvernement, les organismes complémentaires n’ont pas de « réserves » pour assumer ce transfert de charges. En effet, leur économie générale ne cesse de se dégrader en raison des transferts déjà opérés par de précédents déremboursements. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), organisme étatique, confirme d’ailleurs que l’ensemble des complémentaires rencontrent aujourd’hui des difficultés économiques. Ces mesures de poches mettent à mal tout notre système de protection sociale solidaire. Il ne s’agit pas d’une fatalité, mais bien d’un choix du gouvernement. Et cette décision va directement dégrader l’accès à la complémentaire santé, et donc aux soins.

Jean-Paul Benoit et Nicolas Souveton, président et vice-président de la Fédération des Mutuelles de France. © DR

Quelles sont les conséquences pour les adhérents mutualistes ?

Nicolas Souveton : Comme les organismes complémentaires n’ont pas de marge de manœuvre, il y aura obligatoirement une répercussion directe sur  les cotisations. Ce volume économique transféré va donc peser sur les adhérents mutualistes. Le risque majeur de cette augmentation des cotisations est celui de la démutualisation. En effet, il est possible que certains ménages n’aient plus les moyens de payer leurs complémentaires santé. Ce qui serait lourd de conséquences en termes de santé publique.

Jean-Paul Benoit : Le déremboursement des soins bucco-dentaires va devoir être pris en charge par les complémentaires santé à hauteur de 500 millions d’euros. Mais ce transfert de charges n’est pas la seule mesure qui pèse sur les organismes complémentaires. En les additionnant toutes, la Fédération nationale de la Mutualité Française (FNMF) a évalué que leur montant s’élevait à 1,6 milliard d’euros au total, en année pleine. Sans compter les nouvelles mesures qui pourraient être annoncées dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. A cela il faut également ajouter les taxes sur les contrats santé…

A combien s’élèvent ces taxes ?

Jean-Paul Benoit : Les taxes sur les contrats santé s’élèvent aujourd’hui à 14 ou 21 %. Soit le même montant que pour des produits d’hyper-luxe. Au sein de la Fédération des Mutuelles de France (FMF), nous dénonçons ce taux d’imposition exorbitant. Il y 20 ans, la complémentaire santé n’était pas taxée, car elle était considérée comme un produit de première nécessité. En ajoutant ces taxes, la somme de 1,6 milliard d’euros qui pèse sur les organismes complémentaires s’élève en réalité à 1,8 milliard d’euros. Il y a donc un risque que les organismes complémentaires doivent augmenter leurs cotisations de près de 10 %.

Nicolas Souveton : A chaque fois que le gouvernement décide d’un transfert de charges à destination des complémentaires santé, celui-ci est encore augmenté par le poids des taxes. Nous ne cessons de réclamer leur suppression. Car cela permettrait d’ores et déjà de baisser toutes les cotisations de 14 %. Sans résoudre le problème des transferts de charges, cette diminution soulagerait toutefois les adhérents…

A quel moment la baisse des remboursements des soins bucco-dentaires par la Sécurité sociale prendra-t-elle effet ?

Jean-Paul Benoit : Dès le 1er octobre 2023. Il est important que les assurés sociaux soient informés au plus vite de cette décision gouvernementale. D’autant plus que, dans sa communication, l’exécutif essaye de renvoyer la responsabilité de l’augmentation du coût des cotisations sur les complémentaires…

Le montant de ce transfert financier vers les organismes complémentaires était initialement de 300 millions. Pourquoi passe-t-il aujourd’hui à 500 millions d’euros ?

Jean-Paul Benoit : Cette mesure a été prise de façon unilatérale, sans que les organismes complémentaires ne soient consultés. Elle est issue d’une disposition du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), voté fin 2022. Celle-ci annonçait un transfert de charges de 300 millions d’euros vers les complémentaires santé. Pour justifier cette décision, l’exécutif avait alors prétendu que les organismes complémentaires opéraient moins de remboursements qu’il y a quelques années. Il s’agit d’un prétexte totalement fallacieux. La FNMF l’a d’ailleurs démontré. En se basant sur les chiffres Drees, la Mutualité Française a en effet révélé que la part des dépenses totales de santé assurées par les organismes complémentaires avait au contraire sensiblement augmenté.

Nicolas Souveton : En effet, la démonstration du gouvernement est erronée puisqu’elle ne tient compte que des prestations directes versées par les mutuelles aux adhérents. Ce qui ne représente qu’une partie des dépenses assurées par les complémentaires.

La création d’un comité de dialogue entre le gouvernement et les organismes complémentaires avait pourtant été annoncée ?

Jean-Paul Benoit : Cette promesse n’a pas été respectée. Les demandes répétées des complémentaires ont contraint le ministère à réunir ce comité de dialogue, appelé le CDOC (comité de dialogue avec les organismes complémentaires) prévu par la loi votée par le Parlement. Mais avec un grand cynisme, le gouvernement a refusé tout dialogue. Il n’a même pas pris la peine d’informer le CDOC de ses intentions. Pas de négociation, pas de discussion et même pas d’information. Arrogance et décisions unilatérales ne sont pas un mode de gouvernance démocratique. Normalement, les mesures concernant le budget de la santé doivent être prises au moment du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Présenté à l’automne par le gouvernement, ce PLFSS doit ensuite être examiné par le Parlement. Mais aujourd’hui, l’exécutif impose de nouvelles décisions tout au long de l’année, sans respecter ce calendrier législatif.

Nicolas Souveton : Cette mesure n’a jamais été discutée dans aucun texte de loi. Si le Parlement se retrouve exclu des décisions politiques concernant la protection sociale, il y a un vrai problème démocratique. L’exécutif ne peut pas décider seul de tout. Quand le projet de loi de financement de la Sécurité sociale a été mis en place dans les années 1990, l’objectif était bien de renforcer le rôle de l’Assemblée nationale et du Sénat dans le pilotage du financement de la protection sociale. Or, le Parlement a voté fin 2022 un transfert de charges s’élevant à 300 millions d’euros. Ce vote n’a pas été respecté puisque le gouvernement a décidé de façon arbitraire de l’augmenter de 200 millions d’euros supplémentaires. Cela pose également la question de la gouvernance globale du système de santé.

C’est-à-dire ?

Jean-Paul Benoit : Il s’agit d’un problème général de concertation et de négociation avec le gouvernement. Nous l’avons vu avec les organisations syndicales au moment de la réforme des retraites. Il en va de même sur le sujet de la santé. Aujourd’hui, il n’y a aucune politique globale menée sur l’accès aux soins et la protection sociale.

Nicolas Souveton : Face à un gouvernement qui reste sourd à la concertation, il faut pouvoir instaurer un rapport de force. Avec le soutien du mouvement social et notamment des organisations syndicales, la mutualité a la capacité d’apporter un message fort et de se faire entendre sur ces sujets de santé.