Il y a près de 10 ans, la loi imposait, dans les entreprises du secteur privé, une complémentaire santé obligatoire pour tous les salariés. Aujourd’hui, les négociations sont en cours pour réformer la protection sociale complémentaire au sein des trois versants de la fonction publique. Rencontre avec Pascale Vatel (photo ci-dessus à gauche), secrétaire générale de la Fédération des Mutuelles de France (FMF) et Martine Da Luz (photo à droite), vice-présidente de la FMF et également présidente de la Mutuelle complémentaire de la Ville de Paris et de l’Assistance publique (MCVPAP).
Quelle est la position des Mutuelles de France sur cette réforme ?
Pascale Vatel : Il était temps que l’employeur public participe à la couverture sociale complémentaire de ses agents. Mais cela s’organise de la pire des manières. En opposant les actifs, qui bénéficieront du dispositif, et les retraités, qui en seront exclus. Ces derniers paieront le prix de cet isolement. Cette réforme risque de poursuivre et d’amplifier la casse de la solidarité entre générations.
Martine Da Luz : Et puis, il faut rappeler que la contribution de l’employeur est présentée comme une mesure de pouvoir d’achat. Cela est d’abord pervers : en effet, le gouvernement oppose ainsi pouvoir d’achat immédiat et le salaire socialisé qu’est la protection sociale. C’est ensuite une – maigre – compensation du gel du point d’indice des salaires des fonctionnaires qui dure depuis 11 ans ! Cette contribution de l’employeur sera de 50 % en santé, selon ce qui se dessine. Par contre, rien n’est encore prévu en prévoyance pour les agents de l’Etat et pour les hospitaliers.
Pour les retraités, y aura-t-il tout de même des garde-fous ?
P. V. : Dans tous les cas, il faut rappeler que les retraités perdent la participation de l’employeur. Ensuite, pour la fonction publique d’Etat, des mesures d’encadrement des cotisations sont prévues. Mais elles sont temporaires et révisables, ce qui relativise grandement leur portée. Concrètement, le montant de la cotisation santé des retraités sera encadré dans les cinq premières années de cessation d’activité mais pourront atteindre, à terme, 175 % du tarif des actifs. Et si ce mécanisme ne permet pas d’atteindre un équilibre global du contrat, il sera alors révisé, sans aucun doute au détriment des retraités.
Pour les hospitaliers, que deviendra l’article 44 du statut qui prévoit la prise en charge des soins par l’employeur ?
M. D. L. : C’est difficile à dire à ce stade. Il faut rappeler que cet article 44 permet de faciliter l’accès aux soins des personnels hospitaliers dans leur établissement, sans avoir à payer la part complémentaire. Mais l’application qui en est faite est très différente d’un établissement à un autre. Ainsi, il est pleinement appliqué dans tous les établissements de l’AP-HP et comprend même la couverture de certains soins de ville et en pharmacie. En revanche, cette disposition du statut des hospitaliers n’est parfois pas appliquée du tout.
Nous, nous savons ce que nous voulons. La mise en œuvre effective de l’article 44, partout en France, de manière harmonisée et élargie aux soins de ville et de pharmacie. Il s’agit d’un dispositif efficace pour les personnels et simple d’un point de vue de gestion. Il repose notamment sur l’action des correspondants mutualistes présents dans les établissements qui jouent un rôle social. Ils assurent l’information et l’accompagnement de leurs collègues dans le recours à leurs droits en santé et le lien avec les autres services administratifs et sociaux de l’hôpital. Cette fonction, primordiale, est d’autant plus nécessaire dans la période si difficile que traversent les agents de l’hôpital public.
Reste que, pour les autres soins, notamment le dentaire ou l’optique, une complémentaire santé demeure utile et son accès doit être facilité par l’employeur public.
Comment seront choisies les complémentaires ?
M. D. L : Cela va dépendre de chaque versant de la fonction publique. Pour l’Etat, ce sera un appel d’offre pour un contrat collectif obligatoire dans chaque ministère à l’issue duquel un seul opérateur sera retenu. Pour les territoriaux et les hospitaliers, c’est encore ouvert semble-t-il. L’ordonnance de février 2021 qui lançait la réforme donnait, outre les contrats collectifs à adhésion obligatoire, la possibilité de contrat collectif à adhésion facultative (unique ou avec plusieurs opérateurs) ou d’adhésion individuelle sur un contrat labellisé (ouvert à toutes les complémentaires répondant à un cahier des charges).
Ce système de label est d’ailleurs en place dans la fonction publique territoriale depuis plus de dix ans. Il permet de préserver la liberté de choix tout en assurant une qualité des garanties et une solidarité entre actifs et retraités. Clairement, ce dispositif de labellisation a notre préférence.
Quels sont les points de vigilance lors des négociations à venir ?
P. V. : De manière générale, plusieurs conditions seraient de nature à faire de cette réforme un progrès plutôt qu’un recul. Premier point de vigilance, le traitement identique des actifs et des retraités est indispensable pour ne pas rompre la solidarité entre jeunes et plus âgés. Il faut, bien sûr, des conditions fiscales et sociales identiques pour la participation employeur quel que soit le type de contrat (obligatoire, facultatif ou labellisé). Nous militons pour que la participation employeur soit conditionnée au respect d’un label, sans appel d’offre, alliant haut niveau de prise en charge, solidarité et liberté de choix.
M. D. L. : Pour ce qui est des hospitaliers, s’ajoutent l’extension de la prise en charge des soins par l’employeur (article 44), le maintien du comité de gestion des œuvres sociales (CGOS) pour les prestations sociales. Et pour les agents territoriaux, plus fortement concernés par les incapacités et l’invalidité, l’enjeu de la prévoyance est primordial. Ce qui est proposé pour l’instant par les employeurs (minimum 7 euros par mois) n’est pas à la hauteur des besoins.
De manière générale, compte-tenu de la croissance des inégalités sociales et sanitaires, nous, Mutuelles de France, disons que cette réforme est soumise à une obligation de résultat. Elle doit permettre d’améliorer l’accès à la santé (prévention et soins) de tous les agents et anciens agents ; quels que soient l’âge, le statut ou le territoire. Elle doit réduire les inégalités et les injustices du système. C’est sur cette base que les Mutuelles de France travailleront avec toutes les parties prenantes et jugeront finalement des effets de la réforme.
Quelle est la démarche des Mutuelles de France par rapport à cette réforme ?
M. D. L. : Personne ne doit être dupe : c’est une réforme d’ampleur, structurante pour la protection sociale dans son ensemble. La MCVPAP est mobilisée, depuis le début de cette réforme, avec le soutien de la Fédération des Mutuelles de France, y compris au sein de la Mutualité Fonction Publique. Il s’agit de décrypter et d’expliquer, notamment aux équipes syndicales qui auront demain à négocier. Se préparer, c’est aussi partager avec l’ensemble des acteurs solidaires, pour travailler à des réponses mutualistes.
C’est dans cette perspective que nous avons organisé une rencontre avec des militants CGT investis sur le sujet de la protection sociale, ouverte à plusieurs mutuelles. Il en ressort une analyse partagée sur la nécessité de contribuer à renforcer la compréhension syndicale des enjeux de protection sociale. Cela passera notamment par des prises de positions des militants mutualistes dans les structures syndicales. Par exemple sur :
- les impacts néfastes des contrats collectifs obligatoires sur les solidarités intergénérationnelles et les risques de l’extension aux fonctionnaires ;
- la recherche d’évolutions favorables de conquis sociaux comme l’article 44 pour les hospitaliers ;
- ou encore la promotion du dispositif de labellisation ouvert.
A-t-on aujourd’hui un calendrier des négociations ?
P. V. : Le calendrier est différent pour les trois fonctions publiques. Néanmoins, il faut retenir que cette réforme a déjà des impacts et va se mettre en place rapidement. Je pense par exemple pour les agents de l’Etat à la mesure transitoire, opportunément annoncée avant l’élection présidentielle. Cette dernière prévoit une contribution de 15 euros de l’employeur aux complémentaires santé. Au passage, puisque cette contribution de l’employeur a pu être mise en place si vite, on se demande pourquoi on ne l’a pas fait plus tôt. Et pourquoi ne pas pérenniser un tel dispositif, si simple.
Pour les autres versants, cela va aller vite également. Les négociations de cadrage national sont déjà en cours. Elles aboutiront avant la fin d’année 2022 pour un lancement des procédures en 2023. Et une mise en place, dans certains établissements ou certaines collectivités, dès 2024 et au plus tard en 2025 (pour la santé des hospitaliers).