L’universalité de l’accès aux soins était au cœur des débats organisés les 3 et 9 février 2022 par les Mutuelles de France et Médecins du Monde. Ce colloque affichait une ambition commune et partagée par l’ensemble des chercheurs, médecins, responsables d’organisations présents : « la santé pour tous, et partout ». Ensemble ils ont insisté sur la nécessité de porter ce droit fondamental dans le débat public. Pour que les citoyens puissent se réapproprier cet enjeu éminemment démocratique.
« La santé pour tous, la santé partout ». Au-delà de cette revendication, Médecins du Monde (MDM) et la Fédération des Mutuelles de France (FMF) souhaitaient réfléchir ensemble à des solutions concrètes pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins. Ainsi, ils organisaient ensemble un colloque dédié au droit à la santé les 3 et 9 février 2022. Chercheurs, médecins, coordinateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), responsables d’associations et de syndicats, sociologues ont répondu à leur invitation en participant à ces deux demi-journées d’échanges et de débats.
« Nous nous retrouvons souvent sur le terrain, auprès des populations en difficultés. Notamment à travers les réalisations des centres de santé gérés par nos mutuelles ». Jean-Paul Benoit, président des Mutuelles de France inaugurait le colloque en soulignant les nombreuses connexions existantes entre la fédération et Médecins du Monde. A ses côtés, Carine Rolland, présidente de MDM insistait sur leurs accointances idéologiques. « Nous faisons le même constat que la FMF sur le creusement des inégalités en santé. Ainsi que sur les situations d’exclusion qui touchent de plus en plus de catégories de la population ». Les deux responsables ont souligné leur volonté commune de constituer « un mouvement social qui ne se résigne pas », selon les mots de Jean-Paul Benoit. « Pour réfléchir ensemble à un accès aux soins sans entrave, sans discrimination », renchérissait Carine Rolland.
L’accès aux soins, un droit fondamental
Chaque spécialiste invité a témoigné des multiples fractures affaiblissant notre système de santé. Six millions de personnes n’ont toujours pas de médecin traitant. Une situation d’autant plus préoccupante pour les 600 000 d’entre eux qui souffrent d’une affection longue durée (ALD). De l’hôpital aux déserts médicaux – « une réalité dans les zones rurales comme dans les quartiers périphériques des grandes villes » -, de la production des médicaments à la situation des étrangers précaires, dans chacun de leur domaine de spécialité, les intervenants ont fait part de manquements à l’universalité de l’accès aux soins.
« La privation du droit à la santé entraîne une perte de liberté »
Colette Bec, professeure émérite des Universités en sociologie
« Pourtant, la santé est un droit fondamental », a rappelé Colette Bec, professeure émérite des Universités en sociologie. « En démocratie, il y a des biens qualifiés de fondamentaux, parmi lesquels la santé, l’instruction, le logement… Tout citoyen doit y avoir accès. Car leur privation est source d’aliénation. En effet, quelqu’un qui est malade et qui ne peut pas se soigner n’est pas libre ». Pour la sociologue, la possibilité d’accéder à ces biens est donc la condition de la liberté individuelle. Et cette protection ne peut réellement exister pour tous que si elle repose sur une organisation solidaire de la société.
Éduquer les citoyens aux principes de la Sécurité sociale
Le rôle central de la Sécurité sociale, comme garantie de l’accès aux soins de tous, a été rappelé à travers les différentes interventions. « Mais aujourd’hui elle ne remplit plus totalement son rôle de solidarité nationale », a signalé la Secrétaire générale de la FMF. Pascale Vatel a en effet rappelé la nécessité « d’assurer une prise en charge adaptée aux besoins et vraiment solidaire entre malades et bien portants, mais aussi entre les générations. Pour mettre en sécurité sociale l’ensemble de la population. » La représentante des Mutuelles de France a stigmatisé l’approche toujours très technique du sujet de la Sécurité sociale de la part des pouvoirs publics. « C’est pourtant une thématique éminemment politique, un choix de société. Il est nécessaire d’y associer la population, qu’elle puisse se réapproprier cette question. »
Sensibiliser l’ensemble des citoyens, leur rappeler l’histoire et les fondements de la Sécu est également l’une des orientations défendues par Colette Bec. « L’éducation à ses grands principes de solidarité devrait être une obligation civique », a appuyé la sociologue. Chacune à leur tour, Pascale Vatel et Colette Bec ont également soutenu l’importance de réintégrer la Sécurité sociale au cœur du débat public.
La santé, toujours absente du débat public
Au-delà du sujet de la Sécu, les intervenants déploraient la quasi-inexistence des questions sur l’accès soins et la protection sociale dans les médias. La santé reste absente du débat public. Un manquement démocratique d’autant plus préoccupant à quelques semaines de l’élection du nouveau président de la République. Et à la lumière d’un récent sondage plusieurs fois évoqué : 8 Français sur 10 affirment que les propositions des candidats en matière de santé seront déterminantes pour leur vote.
« la thématique de l’hôpital n’avait pas été évoquée lors des précédentes campagnes présidentielles. Ni François Hollande ni Emmanuel Macron n’avaient abordé ces enjeux-là lorsqu’ils étaient candidats. »
Etienne Lengline membre de collectif inter-hôpitaux (CIH)
Après s’être exprimé sur la gravité de la crise hospitalière actuelle, Etienne Lengline membre de collectif inter-hôpitaux (CIH) a rappelé que la question de l’hôpital n’avait pas été évoquée lors des précédentes campagnes présidentielles. « Ni François Hollande ni Emmanuel Macron n’avaient abordé ces enjeux-là lorsqu’ils étaient candidats. Ce qui veut dire qu’aucun responsable public n’a reçu de mandat des Français pour gérer l’hôpital. La situation est grave. Il s’agit d’un sujet qui touche à nos vies, en tant que citoyens, en tant qu’humains. »
L’instauration d’une démocratie sanitaire
La nécessité de mettre en place une « démocratie sanitaire » a été revendiquée à plusieurs reprises. « Ce concept doit rapidement voir le jour, pour favoriser notamment l’appropriation des questions de santé par tous les citoyens. Un soin n’a en effet de sens que s’il s’accompagne d’une explication, d’une transmission. Car à l’inverse, faire preuve de coercition met en péril l’avenir de nos politiques de santé », certifiait Ismaël Nureni Banafunzi, membre du syndicat de médecine générale. Pour Caroline Izambert, docteure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), cette concrétisation démocratique pourrait passer par une valorisation « des partages d’expériences. En faisant part de son vécu et de son ressenti sur la vieillesse, la maladie… En racontant également les opérations réussies. Cette démocratie participative viendrait revitaliser nos institutions de sécurité sociale et leur redonner du sens. »
La flambée des prix du médicament
Dernière piste de réflexion avancée pour généraliser l’accès aux soins : ne plus le soumettre aux logiques marchandes. « La santé doit sortir de la lucrativité, des règles libérales et de la mise en concurrence », a déclaré Carole Hazé Vice-Présidente de la Fédération des Mutuelles de France. Les dérives des organismes à but lucratif ont notamment été pointées du doigt, notamment celles des Ehpad Orpéa, alors que le scandale entourant ces établissements venait tout juste d’éclater.
« Pour la première fois, l’accès à un médicament a été restreint en raison de son coût. »
Chloé Forette de Médecins du Monde
Parmi les profits particulièrement préjudiciables, celui de la production de médicaments a été étudié lors d’une table ronde dédiée. Chloé Forette de Médecins du Monde illustrait les dangers de la rentabilité des produits de santé en prenant l’exemple du Sofosbuvir. Un traitement utilisé pour soigner l’Hépatite C. « Le Sofosbuvir présente un taux d’efficacité de 90 %. Il s’agit d’une avancée considérable pour lutter contre l’Hépatite C, qui s’avère être une véritable pandémie ». Or, pour soigner l’ensemble des patients concernés, il faudrait compter environ 9 milliards d’euros. Soit à peu près le tiers de l’enveloppe gouvernementale consacrée aux médicaments. « Pour la première fois, le ministre de la Santé a donc du restreindre l’accès à un médicament. Ce qui entraîne une véritable perte de chance pour les malades. » Une tendance observée à l’échelle mondiale.
« La question des prix exorbitants des médicaments se développe aussi pour d’autres traitements innovants, comme les anticancéreux. Il s’agit d’un enjeu crucial pour les États. » Gaëlle Krikorian, sociologue, dénonçait à ce sujet « les monopoles accordés à quelques firmes qui se retrouvent ainsi avec un pouvoir très important ». L’absence de régulation du prix de médicaments par la puissance publique a été unanimement dénoncé. Pour l’ensemble des intervenants, un changement de paradigme s’impose.
Profiter de tous les carrefours d’expression
« Ce colloque nous a permis de nous réapproprier ensemble ces grandes thématiques de santé. D’en souligner les enjeux politiques et de les porter dans le débat public », a conclu la Vice-Présidente de la FMF. « Les Mutuelles de France et Médecins de Monde sont déterminés à poursuivre ces initiatives communes. Et à profiter de tous les espaces d’échange du mouvement social, de tous les carrefours d’expression pour faire entendre leur voix », a poursuivi Carole Hazé. Sandrine Simon, directrice santé et plaidoyer chez Médecins du Monde, a conclu en évoquant l’ensemble des défaillances et des inégalités révélées par la crise sanitaire. « Il est important d’en faire le diagnostic précis. Et de se baser sur ces conclusions pour refonder un système de santé réellement inclusif ».