« Les pouvoirs publics devraient donner une information indépendante en santé »

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A trente-six ans, Louis-Adrien Delarue se bat pour faire cesser les conflits d’intérêts entre professionnels de santé, autorités sanitaires et laboratoires pharmaceutiques.

Vous avez soutenu une thèse sur les conflits d’intérêts entre labos pharmaceutiques et agences sanitaires. Pourquoi ce choix ?

Louis-Adrien Delarue : J’étais scandalisé de voir que, dans les hôpitaux, les visiteurs médicaux se baladent comme chez eux, vous accostent, interrompent vos visites pour vous « vendre » leurs médicaments. Etudiants, profs, tous avaient l’air de trouver ça normal, et les rares confrères qui pensaient comme moi étaient taxés d’« utopistes ». Mon beau-père, médecin généraliste, était abonné à Prescrire, seule publication médicale indépendante, qui abordait souvent la question des liens incestueux entre professions de santé et industrie. Un collectif de professionnels de santé (le Formindep), qui venait de se créer, dénonçait aussi cet état de fait. Au moment d’opter pour un sujet de thèse, le choix s’est imposé : étudier l’influence des conflits d’intérêts entre labos pharmaceutiques et experts sur les recommandations médicales de la Haute Autorité de santé (Has).

Publiée en 2011, votre thèse fait grand bruit…

L.-A. D. : en effet, l’affaire du Mediator venait d’éclater et, si l’ancienne Agence du médicament était discréditée, la Has, elle, conservait son prestige. Durant quatre ans, j’ai mené un travail d’investigation sur quatre recommandations de la Has sur le diabète de type 2, la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite rhumatoïde et la maladie d’Alzheimer. Elles incitaient à la prescription de certains médicaments, dont les molécules étaient pourtant jugées sulfureuses. Leur rapport bénéfices/risques était négatif et elles entraînaient de gros effets indésirables. Et ces médicaments étaient plus chers que certains déjà en circulation et efficaces. Pour les seuls anti-Alzheimer, 250 millions d’euros étaient facturés chaque année à la Sécu pour des médicaments au mieux inutiles, sinon dangereux. Alors, pourquoi de telles recommandations ?

En effet, on peut se poser la question…

L.-A. D. : ma thèse démontrait, d’une part, que la Has avait passé sous silence des effets indésirables gravissimes de ces médicaments et, d’autre part, que les experts qui avaient produit ces recommandations à destination des médecins prescripteurs avaient des liens d’intérêts avec les firmes pharmaceutiques. J’ai passé des heures sur Internet pour
mettre au jour ces connexions, car presque aucun d’entre eux n’avait rempli la déclaration publique d’intérêts, qui oblige les experts des agences gouvernementales à signaler leurs liens avec les labos. En matière d’éthique et de transparence, la Has ne respecte pas la loi. Et elle inonde les médecins de recommandations qu’ils sont obligés d’appliquer. Suite à cette thèse et à l’injonction du Conseil d’Etat saisi par le Formindep, ces quatre recommandations ont été supprimées.

Aujourd’hui, la situation a-t-elle changé ?

L.-A. D. : si changement il y a, c’est grâce à la prise de conscience du grand public sur les dangers du médicament après l’affaire du Mediator. Certains étudiants en médecine commencent à réagir et ont créé l’association La Troupe du Rire*, qui se bat contre les conflits d’intérêts et veut qu’ils soient enseignés à l’université. Du côté des autorités sanitaires, rien n’a changé. Que les laboratoires fassent du commerce, c’est leur boulot. Mais il est anormal que les pouvoirs publics ne produisent pas une information indépendante en santé.

Pourtant, la loi Bertrand de 2011 prévoyait une plus grande transparence…

L.-A. D. : suite au désastre du Mediator, cette loi devait obliger les professionnels de santé à publier leurs liens avec les firmes. Mais le décret d’application a exclu de la publication les montants des rémunérations. Impossible dès lors de savoir si le médecin a accepté un déjeuner ou un contrat juteux. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans le sens
de la transparence mais on attend toujours les décrets nécessaires à l’application de la loi.
* La Troupe du Rire (Réseau des initiatives et réponses étudiantes) https://sites.google.com/site/rirelibre/home

BIO

DEPUIS 2008
Médecin généraliste conventionné secteur 1.

6 JUILLET 2011
Soutenance de sa thèse.

2011
Entre au conseil d’administration du Formindep.

2014
Signataire de l’Appel national des médecins contre les pesticides.

Louis-Adrien Delarue souhaite déclarer, selon l’article L. 4113-13 du Code de santé publique, qu’il n’a aucun lien direct
ou indirect avec l’industrie pharmaceutique.