Rencontre avec Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France qui revient sur les derniers dispositifs gouvernementaux.
La Mutualité française s’est montrée très réservée, voire critique, sur le nouveau dispositif Cmu-c contributive tel que proposé par le gouvernement. Dans un communiqué, la Fnmf assure : « Le gouvernement fait le choix d’écarter les mutuelles en ne finançant pas à un niveau raisonnable la mise en œuvre. » Que s’est-il passé entre les premières annonces du gouvernement et les modalités de la mise en application ?
La question du renoncement aux soins et donc celle de l’accès à la complémentaire santé sont majeures pour les Français, comme l’a encore montré le débat initié suite au mouvement des Gilets jaunes. Il s’agit d’un problème complexe, conjuguant des questions financières, d’organisation du système de soins, de respect des personnes, d’accès de tous aux aux droits de tous. Pour résoudre ces difficultés, il faut des réponses prenant en compte la totalité des déterminants. Fidèle à sa méthode, le gouvernement a fait exactement le contraire. Il est parti de ses préjugés et n’a conduit aucune véritable concertation avec quelque acteur que ce soit. Le résultat est un dispositif stigmatisant, inadapté aux problèmes d’accompagnement et de services nécessaires à tous, et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité. De plus, ce dispositif n’est financièrement pas viable. Il accroît le reste à charge pour certains bénéficiaires, il ne permet pas aux mutuelles de leur rendre les services dont ils ont besoin. Aucun financement n’est prévu pour les bénéficiaires de la Cmu-c de base et un financement ridicule pour ceux de la Cmu-c contributive. Les mutuelles ont à cœur de protéger toute la population, y compris les moins favorisés. Cependant, en l’état, elles ne peuvent s’engager dans la mise en œuvre de dispositions qui seront contre-productives pour l’accès aux soins. Elles ne participeront pas à cette campagne de propagande gouvernementale au détriment des plus fragiles. Il en va du respect des personnes concernées.
Une mesure contenue dans la loi, remettant en cause le caractère annuel des contrats mutualistes, vise à contraindre les mutuelles à publier la part des cotisations consacrées aux « frais de gestion ». Une nouvelle attaque contre le fonctionnement même des mutuelles ?
Là encore, beaucoup de gesticulation médiatique et des mesures dangereuses. Les mutuelles publient leurs frais de gestion depuis plusieurs années. Revoter un dispositif qui est déjà dans la loi, ce n’est pas à la hauteur de ce que nous pouvons attendre de la démocratie parlementaire. Concernant la résiliation infra-annuelle, elle ne diminuera pas les coûts de gestion des mutuelles, elle va même les augmenter. Mais surtout, elle va porter un nouveau coup aux solidarités intergénérationnelle et entre malades et bien portants. Et, malgré les dénégations du ministère de la Santé, elle va déstabiliser le système de tiers payant. C’est 7 milliards d’euros de dispense d’avance de frais qui sont remis en cause et qui vont lourdement peser sur le pouvoir d’achat des ménages. Et tout cela sur la base de préjugés. Les frais de gestion des mutuelles correspondent aux services rendus et à l’accompagnement des adhérents. Le gouvernement les compare souvent à ceux de la Sécurité sociale. Or, si on le fait sérieusement, en comparant ce qui est comparable – la liquidation des prestations –, on s’aperçoit que les mutuelles gèrent à un coût similaire, voire inférieur, à la Sécurité sociale. Quant à cette calembredaine libérale, « la concurrence réduit les coûts », dans le domaine de la santé tous les exemples français ou internationaux prouvent le contraire. La concurrence fait exploser les inégalités, réduit l’efficacité et fait flamber les prix. On ne peut pas piloter le système de santé avec des préjugés d’école de commerce.
Cette actualité s’ajoute à la récente hausse des taxes sur les mutuelles. Comment expliquez-vous cet acharnement du président de la République et de son gouvernement ?
L’augmentation des taxes et les transferts de remboursements de la Sécu sur les complémentaires sont les principales causes de l’augmentation du prix des complémentaires santé. La polémique continuelle et irrationnelle sur les frais de gestion a pour but de dissimuler la responsabilité éminente du gouvernement dans cette réalité. Un bouc émissaire est toujours utile pour fuir ses responsabilités. Quant à l’acharnement, je ne sais pas s’il est spécifiquement tourné contre les mutuelles. On a vu l’exécutif s’attaquer à toute forme de corps intermédiaire et de solidarité. Sur la base d’une vision simpliste de la société, lue avec les seules lunettes de l’ultralibéralisme et du bonapartisme, ce pouvoir prend des décisions unilatérales qui fracturent toujours plus la société. Cette attitude lui a déjà explosé à la figure avec le mouvement des Gilets jaunes. Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, son entêtement obtus ne peut qu’inquiéter.