Après deux années de crise sanitaire, et un contexte sociétal tendu, la santé mentale des jeunes est particulièrement mise à rude épreuve. La docteure Lola Fourcade, pédopsychiatre à Paris, rattachée à l’hôpital Necker, nous livre son analyse.
13 % des jeunes Français souffrent d’un trouble psychique, que vous inspire ce chiffre ?
Docteure Lola Fourcade : Cela veut dire que 1,6 million d’enfants et d’adolescents français présenteraient une affection perturbant leur santé mentale. Ce chiffre est alarmant. Les ados ne vont pas bien et c’est une urgence de santé publique. La crise sanitaire a eu des conséquences sur la santé mentale des adolescents. Mais le Covid à lui seul n’explique pas tout. Car, le mal-être perdure encore aujourd’hui et peut prendre des formes et des expressions très différentes, légères ou plus sévères : crises d’angoisse, phobie scolaire, dépressions, gestes et idées suicidaires…
Comment accueillir et entendre les ados qui vont mal ?
Dre L.F. : L’adolescence est déterminée par la question du début de la puberté. C’est le corps qui donne théoriquement le signal de départ de l’adolescence ; c’est un processus qui est à la fois somatique et psychique. On est obligé, quand on accueille des ados, d’écouter le corps et l’esprit, puisque cette mutation kafkaïenne va être un processus qui se développe forcément d’un côté et de l’autre. Nous essayons dans nos pratiques d’articuler ce dialogue. Quand un ado va mal, il s’agit de vite déterminer si c’est l’adolescence ou si, vraiment, on est dans le registre de la maladie mentale. Formuler des diagnostics est très complexe, puisqu’il faut parfois que « jeunesse se passe », mais il ne faut pas passer à côté de difficultés qui pourraient se pérenniser.
La psychiatrie est toujours intriquée avec le scolaire, le social, et le juridique… Cela incite à beaucoup d’humilité. D’autant que les causes de ces maladies sont multifactorielles. Je me refuse à donner des diagnostics trop rapidement. Parfois ils deviennent beaucoup plus évidents à partir de 15-16 ans. Mais il faut être très vigilants parce qu’avant 25 ans, je pense qu’il faut laisser aussi un sujet trouver sa voie, y compris dans sa singularité.
La maladie mentale est-elle taboue chez les jeunes ?
Dre L. F. : Oui, la maladie mentale est largement stigmatisée. La plupart des patients qui viennent me voir me disent : « mais, je suis pas fou ». Une dépression, c’est déjà pour eux, un stigmate de la folie qui débute.
Les jeunes ont-ils accès aux soins psychiques ?
Dre L. F. : La pédopsychiatrie est organisée comme la psychiatrie par secteur avec différentes structures. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’accès à ces dispositifs, parce que tout est saturé. La démographie médicale et paramédicale ne permet plus de répondre aux besoins qui ne font que croître. Il y a une augmentation de la demande et de l’autre côté une baisse des capacités de réponse. C’est dommage, car en France, on a des dispositifs efficaces et un abord du soin et de de la santé mentale, particulièrement astucieux. Nous avons fait fi des querelles de chapelle et nous sommes ouverts à la psychanalyse, aux thérapies comportementales (TCC), aux apports de la neurobiologie. Mais, nous n’avons plus de moyens humains et donc on n’arrive plus à soigner correctement.
C’est ce que l’épidémie du COVID a mis en lumière. D’où des services d’urgences psychiatriques débordés. Pendant le Covid mais encore maintenant.
Or, il faut un accès aux soins rapide. Si la dépression touche de plus en plus de jeunes, c’est aussi parce que nous n’allons pas assez vite pour la prise en charge de dépressions réactionnelles, au tout début. Ensuite, on a plus de dépression sévère parce qu’on a un retard de prise en charge.
A lire dans le magazine Viva de décembre, notre dossier sur la santé mentale des adolescents
Un message d’espoir ?
Dre L. F. : Oui, car il y a énormément d’initiatives et de bonnes volontés. Du côté associatif par exemple, qui de fait, remplace ce que le secteur public ne fait plus. Il y a beaucoup d’entreprises de déstigmatisation de la santé mentale, et je trouve ça très enthousiasmant.
Il y a également une formation des professionnels de santé mais aussi des professionnels paramédicaux à cette écoute spécifique chez les adolescents, qui est de très bonne qualité. On peut encore augmenter ces espaces, puisque le seul soin utile en psychiatrie, c’est de restaurer un discours narratif pour un sujet.
Et puis, je trouve les ados d’aujourd’hui particulièrement créatifs. C’est une adolescence en ébullition. Ils sont aussi révoltés et en colère contre le système. Ils s’investissent et interpellent les adultes. Ils ont surtout, des schémas psychiques beaucoup plus souples qu’avant. Ils sont beaucoup moins discriminants. Et notre rôle en tant qu’adulte est de les écouter.
Entretien réalisé à la Villa M (Paris), lors de la rencontre organisée autour du thème « La santé mentale des adolescents ».