L’engagement des mutuelles dans le combat contre les pesticides

Organisé par plusieurs mutuelles, le colloque « Amiante et pesticides, drames d’hier et d’aujourd’hui, quelles solutions pour demain ? » a eu lieu au Sénat le 5 février 2024. © Patrice Raveneau Andeva
Organisé par plusieurs mutuelles, le colloque « Amiante et pesticides, drames d’hier et d’aujourd’hui, quelles solutions pour demain ? » a eu lieu au Sénat le 5 février 2024. © Patrice Raveneau Andeva

Actrice de la santé et du mouvement social, la mutualité se mobilise pour combattre et dénoncer le scandale sanitaire des pesticides. Avant les élections européennes, et après le recul du gouvernement avec la « mise en pause » du plan Ecophyto, plusieurs mutuelles ont organisé un colloque au Sénat.

« En tant que premier acteur de prévention après la puissance publique, les mutuelles ont un rôle de vigie. (…) Dans l’intérêt des populations, nous devons défendre une agriculture qualitative, une alimentation de bon niveau, défendre également la qualité de l’eau… Cela est d’autant plus important compte tenu des conséquences en termes de réparations. Celles-ci pèsent directement sur notre système de santé, qui est pourtant déjà en situation de tension importante. » Le président de la Mutualité Française était présent le 5 février 2024 au Sénat, à l’occasion du colloque « Amiante et pesticides : drames d’hier et d’aujourd’hui, quelles solutions pour demain ? ». Un événement organisé à l’initiative de sept mutuelles, dont La Mutuelle Familiale, Entrain, et Mutami. Eric Chenut a alors rappelé l’engagement du mouvement mutualiste dans la lutte contre ces crises sanitaires.

« L’amiante, plus jamais ça ! »

Deux anciennes sénatrices du Nord, région fortement impactée par le drame de l’amiante, ont ensuite détaillé les points communs entre ces scandales de santé publique. « “L’amiante, plus jamais ça !” Ce slogan, je l’ai vu figurer en titre des tracts, en ouverture des discours, sur des banderoles pendant toute la bataille pour la reconnaissance de ce drame social dont les conséquences sont toujours là aujourd’hui. Et qui est encore loin d’être terminé, » raconte ainsi Michelle Demessine.

Risque invisible

Pour l’ancienne élue, ce slogan « peut inspirer la lutte contre cet autre fléau qu’est l’utilisation des pesticides. » Elle détaille ainsi les similitudes qui peuvent exister entre les deux. « Il y a notamment le risque invisible, qui se développe ultérieurement, les lobbys et leur “stratégie du doute”, la culpabilisation du salarié ou de la victime qui n’aurait – soi-disant – pas fait le nécessaire pour se protéger. » Michelle Demessine insiste enfin sur l’importance de l’action de mobilisation dans l’interdiction de l’amiante. « Si l’on a réussi, c’est grâce au mouvement social. »

La présidente de la Mutuelle SMH, Carole Moreira (au centre, en rouge) explique les raisons de sa participation au colloque : « Nous sommes déterminés à nous battre contre les lobbys de l’industrie agrochimique en continuant d’interpeller nos dirigeants. » © Elina Doumbia

Bouffée d’espoir

Représentants politiques, associatifs et scientifiques invités ont souligné l’importance du rôle des mutuelles dans ce combat. Marie-Christine Blandin, également ancienne sénatrice du Nord, a notamment fait part de cette conviction. « Notre colloque ouvre une vraie brèche contre la négligence, la complaisance ou le fatalisme. Et les valeurs de la mutualité, le commun, le collectif, la solidarité, l’indépendance donnent des outils pour agir. Vous nous donnez une énorme bouffée d’espoir. »

Sociologue et directrice de recherche à l’Inserm, Annie Thébaud-Mony a quant à elle souligné la possibilité « pour la prévention, que les mutuelles puissent peser dans le champ politique, pour une interdiction des substances toxiques, au premier rang desquelles, les pesticides ».

Des résidus de pétrole extrêmement cancérogènes

Le biologiste Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude dénonçant la présence de produits non déclarés dans les bidons de pesticides, a ensuite pris la parole dans la salle. Ce dernier a rappelé que « les produits tels qu’ils sont commercialisés n’ont jamais fait l’objet de tests. Or, ils contiennent beaucoup de résidus de pétrole extrêmement cancérogènes. »

« Les données et les études scientifiques ont par ailleurs révélé une contamination par des résidus de pesticides chimiques chez la quasi-totalité des personnes en France », a alerté Denis Lairon, biochimiste, nutritionniste et directeur de recherche émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Les associations entre l’exposition à ces résidus de pesticides et de nombreuses maladies ont par ailleurs fait l’objet d’un rapport officiel en France par l’Inserm en 2013, et mis à jour en 2021. »

L’alternative de l’agriculture biologique

Le spécialiste a alors insisté sur l’alternative de l’alimentation biologique pour la santé. « Depuis les années 2000, de nombreuses études épidémiologiques ont été réalisées sur des dizaines de milliers d’adultes. Ces recherches ont démontré que les consommateurs réguliers de produits bio, en prenant en compte d’autres facteurs d’influence (âge, sexe, activité physique, tabac, alcool…), ont une probabilité plus faible de surpoids et d’obésité (-31 %), (…) ainsi que de risques cardiovasculaires. Ces recherches ont également démontré une diminution du risque de diabète de type 2 (-35 %), et de développement de cancer (-25 %), notamment pour les cancers du sein et les lymphomes… »

Pour contrer l’argument d’une alimentation bio trop onéreuse pour les consommateurs, Denis Lairon a appelé à la responsabilité des pouvoirs publics. « En réduisant ces impacts sur la santé humaine et environnementale, des économies de l’ordre de centaines de milliards d’euros pourront être réalisées. »

L’illusion d’un usage contrôlé

Le retrait complet de ces substances chimiques était également au cœur des débats. Car une utilisation « contrôlée » des pesticides apparaît en effet comme illusoire pour les participants, dont Andy Battentier, directeur de la campagne de Secrets toxiques, une coalition de 80 organisations engagées dans cette lutte. « Il a fallu attendre 1997 pour aboutir à l’interdiction de l’amiante, alors que les premiers éléments de dangerosité étaient connus dès 1904. C’est justement l’illusion d’un usage contrôlé qui a été à l’origine de ce maintien. »

Le mur dressé par les industriels

Tour à tour, les intervenants ont développé les stratégies de l’industrie agrochimique pour semer le doute dans l’esprit du grand public, en diffusant de fausses informations sur les pesticides, et en minimisant leurs effets sur la santé. Co-organisateur du colloque, le sénateur Daniel Salmon a mis en avant la « manière positive dont les citoyens perçoivent la diminution de leur utilisation, voire l’éventualité de s’en passer totalement. »

Ce mur est érigé grâce à un procédé quasiment universel dans le domaine : c’est la fabrique du doute.

Le Sénateur Daniel Salmon

Mais, selon lui, il faudra avant cela faire tomber « le mur dressé par les industriels qui fabriquent ces poisons. Ce mur est érigé grâce à un procédé quasiment universel dans le domaine : c’est la fabrique du doute. La même technique a été employée pour le tabac, pour le réchauffement climatique, pour certains médicaments, et bien entendu, pour l’amiante et les pesticides… Or le doute permet de retarder la prise de décision, la réglementation, voire l’interdiction. »

Pousser les réglementations dans le bon sens 

Dans son discours introductif, le président de la FNMF avait rappelé la volonté de la mutualité d’agir aux côtés des associations : « Il est fondamental que nous profitions de l’échelon qui est le nôtre pour pousser un certain nombre de réglementations dans le bon sens. Et faire en sorte que les lobbys industriels ne gagnent pas ce combat-là. »

Recul politique

A de nombreuses reprises au cours de cette journée, les participants sont revenus sur la déclaration, début février, du Premier ministre de « mettre en pause » Ecophyto, le plan national sur la réduction de l’utilisation de ces substances. Et également sur l’annonce qu’aucun pesticide ne pourra désormais être interdit en France avant que sa substance active ne le soit dans toute l’Europe. Pour s’opposer à cet important recul politique, 14 mutuelles dont La Mutuelle Familiale, la SMH, Mutami et la 525e Mutuelle ont adressé un communiqué à Gabriel Attal, dès le lendemain du colloque.

Un nouvel événement en avril à Bruxelles

« Face à l’augmentation inédite des maladies chroniques et de cancers, en partie dus aux pesticides, nous prenons la responsabilité d’interpeller les pouvoirs publics en formulant des demandes pour la prévention et la réparation des préjudices de tous, détaille cette communication. (…) Aujourd’hui, 23 millions de Français souffrent d’une ou plusieurs maladies chroniques. Nous devons stopper les expositions aux poisons identifiés tels les pesticides et l’amiante qui tuent. (…) Cela doit cesser. La responsabilité d’agir incombe en premier lieu à l’Etat. »

Après avoir été relayé dans plusieurs médias, dont une tribune parue dans Le Monde et signée par 40 responsables de mutuelles, ce premier événement commun dans la lutte contre les pesticides sera suivi d’un nouveau colloque au Parlement européen le 11 avril. Les mutuelles belges ont annoncé soutenir et participer à cette prochaine action de mobilisation.