A l’encontre du « travailler plus pour gagner plus », la semaine de quatre jours incarne une vision du travail axée sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Si l’idée fait son chemin en Europe, en France les initiatives sont balbutiantes. Le point avec Thérèse Rebière, économiste du travail et maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers.
En quoi consiste exactement la semaine de quatre jours ?
Thérèse Rebière : Cela signifie qu’à salaire égal on travaille quatre jours par semaine au lieu des cinq habituels. Dans les faits, on peut soit diminuer le temps de travail, ou le compresser en travaillant plus sur quatre jours. Les deux approches n’ont pas du tout les mêmes effets.
Ce débat n’est pas nouveau. En 1996, la loi Robien ouvrait déjà cette possibilité aux entreprises…
T. R. : Le contexte n’est pas le même. A l’époque, on cherchait à réduire le temps de travail pour lutter contre le chômage. Aujourd’hui, la question de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est devenue prégnante avec la crise sanitaire. Comme celle du sens du travail. La semaine de quatre jours répond à ces nouveaux enjeux. Car quand vous trouvez du sens au travail, vous êtes de meilleure humeur et vous êtes aussi plus productif.
La semaine de quatre jours peut-elle être un moteur pour l’économie ?
T. R. : Oui car le temps « gagné » est réinvesti. Lorsque vous n’êtes pas dans l’entreprise, vous êtes potentiellement en train de consommer, d’aller au restaurant, au cinéma, de faire les boutiques… vous contribuez donc au tissu productif de l’économie sur votre jour de congé.
Quels sont les bienfaits en termes de santé ?
T. R. : Impossible à évaluer en France en l’absence d’expérimentation de grande ampleur. Mais en Grande-Bretagne, où le dispositif a été testé à grande échelle, les retours sont largement positifs. Les résultats montrent une réduction du stress, une augmentation du bien-être et une plus grande attractivité des emplois. A la question : « Souhaitez-vous conserver cette organisation ? », la majorité des salariés concernés ont répondu oui.
Pourquoi ce retard en France ?
T. R. : En Grande-Bretagne, le projet a été initié par le tissu associatif et les entreprises intégrées à un réseau de recherche universitaire. La France ne dispose pas d’un réseau structuré, les entreprises qui décident de le mettre en place le font à titre individuel.
Existe-t-il des risques de surmenage ?
T. R. : Oui en cas de compression du temps de travail qui implique de devoir être plus productif afin de compenser la journée « off ». Par exemple : déplacer plus de charges lourdes, rester plus longtemps assis à son bureau… ce qui peut entraîner des problèmes posturaux ou psychologiques. C’est le côté pervers du système. A l’Urssaf Picardie, où cette solution a été testée, les retours sont défavorables. Les salariés ont préféré revenir à la semaine de cinq jours.
Six entreprises sur dix ont du mal à recruter. A l’heure du turnover, c’est aussi une manière de rendre les entreprises plus attractives ?
T. R. : En effet, c’est une solution particulièrement intéressante pour les métiers en tension : la restauration, les métiers de la santé… A défaut d’augmenter les salaires, on peut améliorer la qualité de vie des salariés. C’est un argument pour endiguer l’hémorragie de main-d’œuvre dans ces secteurs et les rendre plus attractifs.
Concrètement, quels sont les leviers pour y parvenir ?
T. R. : Cela passe par la rationalisation des process. On va chercher à aller droit au but en diminuant notamment le temps alloué aux réunions. Le revers de la médaille : il y a moins de temps pour la socialisation, les échanges à la machine à café… Or ces temps sont aussi nécessaires à la bonne santé du travailleur et de l’entreprise pour souder les équipes.
Quelles sont alors les conditions de réussite de la semaine de quatre jours ?
T. R. : Cela doit être un dispositif souhaité et non subi, en ciblant de préférence les métiers en tension qui vont bénéficier d’un effet d’attractivité. Ensuite, il faut être vigilant afin que la réduction du temps de travail, dont les effets positifs sont avérés, ne se transforme pas en compression du temps de travail aux effets pervers en matière de santé pour les travailleurs.