Les recommandations du CESE pour adapter le travail à la crise écologique

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) travaillant sur les dérèglements climatiques et la santé au travail. © Jacques Witt /SIPA et Katrin Baumann
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) travaillant sur les dérèglements climatiques et la santé au travail. © Jacques Witt /SIPA et Katrin Baumann

Le Conseil économique, social et environnemental, troisième assemblée de la République insiste une nouvelle fois sur l’urgence d’adopter une approche globale de la crise écologique, et notamment dans le cadre du travail. Il vient de dévoiler ses recommandations à destination des partenaires sociaux, des entreprises et du Gouvernement.

Ces préconisations se basent sur une enquête consacrée aux conséquences du réchauffement sur la santé au travail, que le CESE avait dévoilée peu de temps auparavant.

« Un véritable plan d’actions pour adapter le travail au réchauffement climatique. Et pour atténuer l’impact des activités humaines sur le climat. » Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de publier 17 préconisations pour adapter le monde du travail à la crise environnementale. Destinées aux syndicats, aux entreprises et au gouvernement, ces recommandations visent à intensifier l’utilisation des outils existants. Tout en réaffirmant l’importance du débat démocratique.

Parmi les mesures phares figurent :

  • L’augmentation des formations sur la santé au travail et la santé-environnement. Ces modules auraient lieu dès les premiers cycles universitaires et pendant la formation continue.
  • Le décloisonnement des politiques publiques avec la mise en place d’un délégué interministériel (Travail-Santé-Environnement), placé auprès du Premier ministre. Ce dernier aurait comme mission de renforcer la cohérence entre les différents plans santé au niveau national.
  • Mobiliser les entreprises en faisant des conséquences environnementales l’une des orientations stratégiques incontournables.
  • Intégrer au règlement le risque canicule en tant qu’intempéries, pour limiter l’exposition des travailleurs à des températures extérieures élevées. Dans le BTP en premier lieu (après négociations), avant d’étendre éventuellement le dispositif à d’autres secteurs.

Pour établir ces préconisations, l’assemblée consultative a notamment réalisé une enquête à propos des conséquences du réchauffement sur la santé au travail. Une étude que le CESE avait dévoilée quelques semaines plus tôt au Palais d’Iéna, à Paris. Retour sur cette journée d’étude.

70 % des salariés et des agents de la fonction publique considèrent que la dégradation de l’environnement peut affecter leur santé. Au cours d’une matinée d’étude, le 14 février 2023 à Paris, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dévoilait les résultats de son enquête consacrée aux conséquences du réchauffement climatique sur les conditions de travail. Cette consultation professionnelle, réalisée en décembre 2022 sur le site internet de l’assemblée, révèle un « haut niveau de préoccupation » des travailleurs à propos de la crise écologique.

Prise de conscience

« Le lien entre environnement et conditions de travail est bien identifié », constate Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et Emploi du CESE. « Les salariés et les agents ont également conscience de l’impact des dérèglements climatiques sur la santé. Lors des canicules de 2022, chacun a en effet pu ressentir concrètement les effets des températures fortes. Le problème ne concernait plus seulement les travailleurs du bâtiment ou de l’agriculture qui doivent rester en plein air. Tout le monde était concerné : dans les écoles, les bureaux, les administrations… »

Le collectif en décalage

Un réel changement de paradigme s’est donc opéré. Or pour Sophie Thiéry, cette bascule s’est faite de manière individuelle, et pas encore suffisamment dans le cadre du groupe. « Le décalage reste important entre la prise de conscience personnelle des travailleurs et l’engagement collectif », déplore-elle. Selon l’enquête du CESE : « la population interrogée se déclare très majoritairement concernée à titre personnel par les sujets environnementaux et leur impact sur le travail. Mais seulement un tiers des répondants constate que ces sujets sont à l’ordre du jour dans leur environnement. »

A l’occasion de ses travaux sur les dérèglements climatiques et la santé au travail, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de publier les résultats d’une grande enquête. Avant de rendre son avis en avril 2023, la troisième assemblée de la République livrait les conclusions de son étude en février dernier. Les conclusions montrent que la majorité des travailleurs a aujourd’hui conscience des conséquences du réchauffement sur leur santé.
Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et Emploi du CESE et Jean-François Naton, rapporteur de l’avis du CESE. © Jacques Witt /SIPA et Katrin Baumann

Sortir de l’urgence

Pour la représentante du CESE, un changement fort doit également s’opérer dans les politiques publiques. « Nous devons passer d’une logique de réparation à une logique de prévention. L’organisation et les conditions du travail doivent être repensées pour sortir de cette logique de crise. Notamment les équilibres entre vie professionnelle et vie privée, les déplacements vers le lieu de travail… ». Pour Sophie Thiéry, l’ensemble de l’écosystème est percuté par le sujet environnemental et ses conséquences pour la santé.

Des outils insuffisamment exploités

Pour se prémunir des risques sanitaires liés au réchauffement climatique, les employeurs disposent d’outils. Et notamment de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), qui compile l’ensemble des grandes orientations de l’entreprise. Or pour 60 % des personnes interrogées, la dimension environnementale n’est pas intégrée à cet outil.

Non identification des risques

Il en va de même pour le DUERP. Le document unique d’évaluation des risques professionnels qui regroupe les dangers potentiels. L’étude montre qu’il « intègre encore trop peu les risques liés aux dérèglements climatiques ». Parmi les autres dispositifs insuffisamment exploités figure également celui du service de prévention et de santé au travail (SPST). « 50 % des personnes interrogées considèrent que les SPST n’apportent pas de services en lien avec les risques liés à l’environnement. »

La formation encore trop marginale

La présidente de la commission Travail et Emploi précise par ailleurs que la formation représente un important levier d’amélioration des pratiques. Or rares sont les agents publics (25,5 %), les ouvriers (16,7 %) et les employés (25,6 %) qui ont eu l’occasion de suivre un module sur le sujet. L’enquête montre également que le renforcement des « obligations légales » pour les employeurs apparaît nécessaire pour 70 % des personnes ayant répondu.

Dérèglements climatiques et santé au travail – CESE

L’importance du dialogue social

Cette intensification de l’effort collectif de la part des employeurs doit passer, pour la représentante du CESE, par le développement du dialogue social. « En l’occurrence, un dialogue professionnel permanent qui permettrait de pérenniser les discussions sur les conditions de travail à l’épreuve de la crise environnementale ». Un sentiment également partagé par Jean-François Naton, rapporteur de l’avis du CESE. « La question des moyens alloués à ce dialogue social est essentielle. De quelle manière le faire exister. »

« Ecouter ceux qui savent »

Pour le vice-président du CESE, et membre de la section travail du CESE CGT : « C’est la question de la démocratie au travail qui est ici posée. Le fait de pouvoir parler de son travail. Et le grand défi aujourd’hui est d’écouter ceux qui savent. Et ceux qui savent sont souvent ceux qui font. La transition écologique doit en effet passer par l’écoute du monde du travail. »

Modifier le Code du travail ?

La matinée d’étude au siège parisien du CESE était l’occasion d’entendre le retour d’expérience de professionnels directement impactés par le réchauffement climatique. Les exemples du bâtiment et du travail agricole ont notamment été abordés. « Pour les salariés du BTP qui travaillent en extérieur, la situation devient de plus en plus difficile et problématique, insiste Pascal Barbey, secrétaire national à la Fédération nationale construction et bois CFDT. « Une modification du Code du travail » s’impose. « Il existe un article législatif relatif aux intempéries hivernales, en cas de gel et de verglas notamment. Il serait important d’y inclure les situations de fortes chaleurs et de canicules. »

A l’occasion de ses travaux sur les dérèglements climatiques et la santé au travail, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié les résultats d’une grande enquête. © Jacques Witt /SIPA  et Katrin Baumann

Au même titre que les intempéries

Dans l’assistance, le président de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), Bernard Salengro, souhaite réagir à ce dernier témoignage. « Je voudrais parler de mon expérience de médecin au sein de la Fédération du bâtiment. Il faut effectivement pouvoir arrêter les chantiers en cas de trop fortes chaleurs. De la même manière que les entreprises se font indemniser lorsqu’il fait trop froid. Les dérèglements climatiques doivent en effet être intégrés à la législation, au même titre que les intempéries. »

Etudes récentes

Venu spécialement pour l’occasion, Wolfgang Cramer, expert du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a livré son sentiment sur la réalité du travail à l’épreuve de la crise environnementale. « La santé au travail est un sujet de recherche relativement récent. Il y a 10 ou 15 ans il existait encore peu d’études. Aujourd’hui, la littérature scientifique sur ce thème est plutôt riche. »

Mauvaise piste

Concernant le réchauffement climatique, le directeur de recherche au CNRS explique clairement que « nous ne sommes pas sur la bonne piste. Autrement dit, s’il n’y a pas un changement important au niveau de nos efforts pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre, les problèmes de santé et notamment dans le cadre du travail, vont s’accumuler ».

Wolfgang Cramer, expert du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). © Jacques Witt /SIPA  et Katrin Baumann

Deux degrés, voire plus

L’expert du GIEC poursuit ensuite en précisant que le réchauffement que nous avons vécu jusqu’ici (+1,2 degrés), « qui nous a coûté et qui nous coûte déjà beaucoup de difficultés n’est qu’un début. Nous nous dirigeons en effet vers une augmentation de deux, peut-être 2,5 degrés de réchauffement dans les décennies qui viennent. Il va falloir beaucoup d’efforts pour s’adapter ».

« Maladaptation »

Wolfgang Cramer met toutefois en garde l’auditoire contre la « maladaptation ». « Ce terme central du dernier rapport de GIEC fait référence aux gestes qui tentent d’améliorer les choses. Mais qui les empire. Comme la climatisation dans les bureaux, qui en réalité augmente le problème en consommant beaucoup d’énergie et en réchauffant ainsi la température. » Pour le représentant de la structure onusienne, les réflexions du CESE permettent de mettre en lumière « la réalité des travailleurs souffrant directement du dérèglement climatique. Ce qui est essentiel dans les adaptations que nous devons mener ».