« La reconquête de la Sécu passe par la prévention et la proximité, en lien avec les mutuelles »

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Vice-président CGT du CESE (Conseil économique, social et environnemental), Jean-François Naton vient de publier un livre stimulant : Pour d’autres jours heureux, La Sécurité sociale de demain (éd. De l’Atelier). Il y plaide pour un « renversement vertueux » du système de santé vers la prévention, essentiellement dans le système scolaire et l’entreprise.

Inquiet du processus d’étatisation en cours via la réforme des retraites notamment, Jean-François Naton se dit convaincu que le lien entre les citoyens et la Sécurité sociale doit se reconquérir. Il prône ainsi la création de « Maisons du travail et de la santé ». Interrogatif sur le 100% Sécu, cette reconquête passe pour lui par « un renouveau de la complémentarité de la Sécurité sociale avec le mouvement mutualiste ». 

– Vous préconisez un renouveau de la protection sociale en parlant d’une nécessaire « mise en Sécurité sociale » de la société française. Que voulez-vous dire ?

Il s’agit de renverser le système en sortant du tout curatif. La prévention et l’éducation à la santé doivent rentrer dans les grands lieux de vie : à l’école et dans les entreprises. En travaillant sur la question de l’école au CESE*, j’ai acquis la conviction qu’il faut agir précocement auprès des élèves. Aujourd’hui, on est dans l’incurie la plus totale. La crise du coronavirus en est une bonne illustration. On nous dit : « lavez-vous les mains ». Mais, il faut savoir qu’il n’y a pas de savon dans de nombreuses écoles. J’appelle à un plan massif d’investissement dans le système scolaire, pour « une sécurité sociale de la scolarité ». 

De même, il y a beaucoup à faire dans les entreprises. Et j’estime que les mutuelles ont un rôle fondamental à jouer sur le lieu de travail. Certaines le font déjà. Mais, là aussi, il faut une action d’ampleur. Les mutuelles doivent être force de proposition et de pédagogie dans le monde du travail, dans la prévention des maladies et des risques de toute nature. 

– Vous écrivez qu’il faut sortir de la spirale du déclin et affronter les menaces qui pèsent sur la Sécurité sociale. Quelles sont-elles ?

Il y a tout d’abord une banalisation de cette conquête sociale, devenue pour beaucoup une machine administrative ayant perdu sens, valeurs et finalité sociale. On doit aussi admettre que la rengaine libérale des années 1980 a gagné les consciences. Enfin, la menace la plus présente, est celle de l’étatisation-privatisation : le gouvernement tente d’assimiler le budget de la Sécurité sociale à celui de l’Etat par la non compensation des exonérations, et l’Etat prend la main avec la réforme des retraites et de l’assurance-chômage, au détriment des populations et des institutions garantes de notre République sociale. 

Dans ce contexte, je reste interrogatif sur le 100% Sécu sensé régler tous les problèmes. Pour ma part, je suis persuadé que la reconquête passe par un renouveau de la complémentarité de la Sécurité sociale avec le mouvement mutualiste et les institutions de prévoyance. C’est cette diversité, affirmée par Ambroise Croizat dès les origines, qui garantit la meilleure réponse aux besoins, la fraternité et la liberté. Sinon, la logique du « grand tout » retraite se reproduira pour la santé. 

– Pour recréer le lien entre les citoyens et la Sécurité sociale, vous proposez la création de « Maisons du travail et de la santé ». A quoi ressembleraient-elles ?

Je vise à un retour de l’humain dans la proximité. Dans ces Maisons, l’approche pluridisciplinaire serait la règle. Elles seraient composées de professionnels en capacité d’entendre l’ensemble des maux de la population. On a vu à quel point cette exigence est présente avec la crise des « Gilets jaunes ». De tels lieux sont indispensables pour parvenir à cette nouvelle « mise en sécurité sociale » : c’est une façon de mettre la Sécurité sociale à hauteur de l’humain. Et de ne pas se contenter du 36 39 avec 20 minutes d’attente facturées. 

– Comment financer cette « mise en sécurité sociale » ?

En s’attaquant résolument au coût du mal travail. Des milliards d’euros sont engloutis pour réparer ce qui pourrait être évité par des politiques de prévention et de promotion de la santé. Au lieu de casser l’humain sur l’autel du rendement, pourquoi ne pas soigner le travail ?

Certains, parmi lesquels une part importante du mouvement syndical et politique, plaident pour un ajout de recettes supplémentaires pour financer une dépense toujours croissante. D’autres, les libéraux, sont pour une désocialisation de la dépense accompagnée d’un recours aux assurances privées. J’ai la conviction qu’une troisième voie existe : certes, il faudrait des recettes nouvelles pour répondre au grand défi de la perte d’autonomie, par exemple ; mais surtout, il faudrait affecter les dépenses à des politiques de prévention pour enfin s’attaquer aux causes. Nous avons la possibilité historique d’utiliser les excédents de la branche AT-MP pour enclencher ce renversement vertueux. 

  • * Jean-François Naton a rendu un avis au CESE avec le docteur Fatma Bouvet intitulé « Pour des élèves en meilleure santé », mars 2018.