« L’aide médicale d’Etat reste fortement menacée », Florence Rigal, présidente de Médecins du monde

Florence Rigal, présidente de Medecins du Monde © Médecins du Monde
Florence Rigal, présidente de Médecins du monde, rappelle qu’en 2022, seulement 400 000 personnes ont bénéficié de l'AME, ce qui ne représente que 0,47 % du budget de l'Assurance maladie. ©Médecins du monde

Après la promulgation de la loi immigration, le Premier ministre a annoncé une réforme de l’Aide médicale d’Etat « avant l’été ». Les acteurs du mouvement social et les professionnels de santé sont fortement mobilisés contre ce projet de restriction de l’AME, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Florence Rigal, présidente de Médecins du monde, explique les enjeux de ce dispositif fondamental de notre protection sociale.

Qu’est-ce que l’aide médicale d’Etat (AME) ?

Florence Rigal : L’AME permet aux personnes en situation irrégulière d’avoir une couverture maladie. Il s’agit d’un dispositif qui s’adresse à ceux dont les revenus sont inférieurs à 810 euros. Ces derniers doivent également justifier de 3 mois de présence continue sur le territoire français. En 2022, seules 400 000 personnes en ont bénéficié. Et l’AME ne représente que 0,47 % du budget de l’Assurance maladie. Il me semble essentiel de rappeler ces chiffres, car il y a encore beaucoup de fantasmes autour de l’AME. Aujourd’hui, le vrai problème de cette aide est surtout son taux de non-recours.

49 % des personnes qui pourraient bénéficier de l’AME ne la sollicitent pas.

A combien s’élève-t-elle ?

Florence Rigal : Une étude de 2019, établie par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), montre que 49 % des personnes qui pourraient en bénéficier ne la sollicitent pas.

Que sait-on aujourd’hui des menaces qui pèsent sur cette aide ?

Florence Rigal : Pour le moment nous avons peu d’informations concrètes. Nous savons juste que le Premier ministre a confirmé l’engagement d’une réforme de l’AME pris lors des négociations qui avaient été faites en décembre dernier, au moment des discussions autour du projet de loi immigration. Il s’agit encore d’une instrumentalisation politique de la santé des étrangers.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’elle se trouve menacée ?

Florence Rigal :  En effet ce problème est récurrent. Il se pose pratiquement tous les ans. Depuis que l’aide médicale d’Etat existe, c’est-à-dire depuis les années 2000, elle est systématiquement menacée. C’est vraiment une honte d’attaquer l’AME, en termes de valeurs humaines, de solidarité et d’entraide.

En quoi va consister cette réforme de l’AME annoncée « avant l’été » par Gabriel Attal ?

Florence Rigal : Nous avons évité le pire en décembre, lorsque l’AME a failli être supprimée. Mais la situation reste particulièrement inquiétante. La teneur de la loi immigration et le contenu du rapport Evin-Stefanini nous font craindre le pire. Ce document remis au gouvernement présente en effet des propositions visant à contenir et contrôler l’aide médicale d’Etat.

L’une des pistes avancée est notamment l’élargissement de la liste des actes et des soins soumis à autorisation préalable. Il faudrait donc en faire la demande avant de pouvoir bénéficier de certains soins programmés, ophtalmologiques par exemple. Mais nous ne savons pas encore ce qui peut être repris de ce rapport.

Quelles seraient les conséquences d’une réduction de l’AME ?

Florence Rigal : Comme je le rappelais, ceux qui touchent cette aide doivent avoir des revenus inférieurs à 810 euros. Leurs conditions de vie extrêmement difficiles ont donc un retentissement certain sur leur santé. Or, ne pas pouvoir accéder à une couverture maladie entraîne forcément des retards dans le recours aux soins, et donc un risque de pathologies beaucoup plus graves, avec un coût en termes de soins d’autant plus important.

Les personnes qui n’ont pas accès à une couverture maladie vont plus fréquemment se rendre aux urgences que chez un médecin traitant, ce qui risque d’encombrer encore plus ces services.

Quels seraient les autres risques en termes de santé publique ?

Florence Rigal : Ces personnes sont plus exposées à des risques de maladies infectieuses, ce qui peut avoir des répercussions sur le reste de la population. Nous savons par exemple que l’état de santé se dégrade fortement au cours d’un parcours migratoire, notamment sur les questions de contamination VIH. Enfin, les personnes qui n’ont pas accès à une couverture maladie vont plus fréquemment se rendre aux urgences que chez un médecin traitant, ce qui risque d’encombrer encore plus ces services.

La mobilisation pour défendre l’AME a été très forte.

Florence Rigal : En effet, notamment de la part des acteurs de santé, médecins, infirmiers, de tous les soignants qui ne voient pas comment soigner correctement des personnes qui n’ont pas de couverture maladie solide. Il est en effet impossible de bricoler en matière de santé, impossible de délivrer des soins sur des temps longs, de faire de la prévention… Par ailleurs, six Français sur dix sont aujourd’hui favorables à cette aide, selon un sondage que nous avons récemment réalisé. Et lorsque ces sondés reçoivent plus d’informations sur ce droit, la part des convaincus monte à 73 %. 

Des problèmes de santé liés aux conditions de vie sur le territoire français

Dans son dernier rapport, Médecins du monde recense plus de 17 000 personnes accueillies, « en très grande majorité de nationalité étrangère (près de 98 %) ». Parmi elles, « 57 % des patients en situation administrative irrégulière ont au moins une maladie chronique », selon les médecins de l’association. « Ces problèmes de santé sont associés aux conditions de vie, d’accueil et d’accès aux droits des personnes en France ». A ce sujet, la présidente de l’organisation, Florence Rigal tient à mettre en avant les chiffres d’une étude de L’ANRS – Maladies infectieuses émergentes, une agence autonome de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Il y a quelques années, « ANRS-Parcours a en effet démontré qu’entre un tiers et la moitié des personnes nées en Afrique subsaharienne et vivant avec le VIH en France se contamine après leur arrivée sur le territoire national. La surexposition au VIH est liée aux conditions de vie précaires réservées aux personnes immigrées dans les premières années qui suivent leur arrivée. »