Pour Thierry Bodin, responsable Cgt chez Sanofi, les retards du laboratoire pharmaceutique français dans la recherche d’un vaccin anti-Covid s’expliquent d’abord par des choix stratégiques.
Pourquoi Sanofi, l’un des grands groupes pharmaceutiques européens, n’a toujours pas produit un vaccin contre la Covid-19 ?
Thierry Bodin : Sanofi travaille sur deux types de vaccin. Il y a trois ans, le groupe a racheté Protéine Science en disant que la protéine recombinante était une technologie au point. Y a-t-il eu un problème de pilotage entre Sanofi-Pasteur et Protéine Science ? Pourquoi avoir acheté en externe un réactif permettant de déterminer la concentration d’antigènes alors qu’il pouvait être produit en interne ? Ce réactif s’est avéré défectueux, avec une concentration d’antigènes moins importante que prévue. Donc la réaction immunitaire était faible. Il y a eu des erreurs de base, un manque d’expertise, de maîtrise. Sans cette pression continue sur le personnel et avec des effectifs suffisants, ce ne serait peut-être pas arrivé. Ce vaccin sera disponible, au mieux, en décembre 2021.
Le deuxième projet repose sur la technologie de l’Arn messager, en partenariat avec Translate Bio. Là aussi il y a un vrai retard. Sanofi n’a pas mis énormément de moyens internes pour être à la hauteur des enjeux. Sanofi ne semble en réalité intéressé par le vaccin anti-Covid que s’il nécessitait un rappel chaque année. Mais on ne le sait pas. On ne connaît pas la durée de protection des vaccins actuels. Le vaccin Arn messager de Sanofi ne sera pas disponible avant 2022.
La suppression massive de postes de chercheurs et la suppression de sites ont-elles eu une incidence sur la recherche d’un vaccin ?
Thierry Bodin : Il n’y a pas eu de restructuration majeure dans la branche vaccins du groupe, Sanofi-Pasteur. Mais il n’y a pas eu non plus d’embauches à la hauteur de ce secteur d’activité. Les restructurations permanentes dans le groupe influent sur Sanofi-Pasteur. Nous avions obtenu la reprise de la recherche sur des anti-infectieux (antibiotiques…). Or, en 2015, le groupe met à l’arrêt plusieurs sites en France. Cette recherche est alors regroupée avec Sanofi-Pasteur en région lyonnaise. Puis, en 2018, Sanofi se désengage de la recherche sur les antibiotiques, alors que nous attirions l’attention de la direction et des pouvoirs publics sur l’arrivée de possibles pandémies. La stratégie de Sanofi n’est pas dictée par la réponse aux besoins de santé, mais par la recherche de rentabilité maximale. C’est un gâchis et le gouvernement laisse faire. Ce vaccin n’était pas une priorité. Aucun des trois principaux laboratoires pharmaceutiques produisant des vaccins (Merck, GSK et Sanofi) n’a réussi à mettre au point un vaccin anti-Covid.
Comment expliquer que Sanofi réalise en 2020 un bénéfice record de 12,3 milliards d’euros malgré ses échecs sur la Covid ?
Thierry Bodin : Si ce résultat est en partie dû à la vente des actions de la société Regeneron, détenues par Sanofi, le seul bilan d’exploitation est extrêmement bon et en progression. Sanofi n’a jamais vendu dans le monde autant de vaccins contre la grippe, de vaccins pédiatriques. A l’exception des vaccins « voyageurs », contre la fièvre jaune par exemple, il s’est produit un engouement général pour les vaccins. Sanofi vend avant tout des médicaments et se porte très bien.
Propos recueillis par Bruno Vincens