« L’essentiel pour l’avenir, c’est une éducation à la solidarité » : Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale*

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Le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, Dominique Libault, estime primordial de mieux expliquer aux Français le système de protection sociale et leur participation à ce système par le biais de la CSG et des cotisations : « L’éducation à la solidarité fait défaut aujourd’hui ». Face au déficit annoncé de la Sécurité sociale, abyssal et inédit, il propose deux pistes : ne rembourser pendant un temps que les intérêts de la dette de la Sécurité sociale ; et une hausse de CSG « bien proportionnée, raisonnable et équitable ». « On peut penser qu’il y a une fenêtre de tir pour un effort des Français envers le système de santé ou du  grand âge ». Dominique Libault, auteur du rapport « Grand âge et autonomie » de mars 2019, regrette le report de la loi dépendance, « tant attendue », ce qui n’a pas placé les Ehpad « dans les meilleures conditions » pour affronter cette épidémie.

Face à la crise sanitaire sans précédent que nous traversons, vous défendez l’idée de « promotion de la citoyenneté sociale ». Pouvez-vous développer ce concept ?

En sortie de crise, nous allons faire face à des besoins de financement très importants, notamment pour l’hôpital et les Ehpad, et la plupart de nos compatriotes sont d’accord pour leur accorder des moyens adéquats. Mais ils ne font pas le lien avec la CSG et les cotisations, qui sont la base des ressources du système de santé.  C’est pourquoi je pense que la pédagogie est essentielle pour que chaque citoyen ait bien conscience de sa participation au système via ses contributions. C’est une conviction ancienne chez moi qu’un système de protection sociale très étendu comme le nôtre est un élément de la République, de la citoyenneté, avec des droits et des devoirs, et que cela demande beaucoup de pédagogie.

Aujourd’hui, l’accès aux soins pour tous nous semble une évidence. On est beaucoup dans l’évidence et peu dans la connaissance. Le cofondateur de la Sécurité sociale en France, Pierre Laroque, a terminé ses mémoires en concluant : « L’essentiel pour l’avenir, c’est une éducation à la solidarité. » On peut dire qu’elle fait défaut aujourd’hui.

Alors, comment faire cette éducation à la solidarité ? Bien évidemment, le bulletin de paye ne suffit pas. Je pense qu’une fois par an, l’employeur devrait recevoir et remettre au salarié une note explicative sur la CSG et les cotisations, indiquant ce que ces contributions financent pour la société (assurance-maladie, hôpitaux, etc.). On peut aussi imaginer que les organismes sociaux (Sécurité sociale, URSSAF) remplissent ce rôle, en développant cet aspect éducatif sur leurs sites. A l’Ecole nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S), nous travaillons à cette mission et avons lancé un concours sur la solidarité dans les lycées.

Le déficit annoncé de la Sécurité sociale pour 2020 sera abyssal et inédit, 41 milliards d’euros au minimum. Comment voyez-vous les choses à ce sujet ?

C’est une rupture très importante. Ce déficit pose selon moi plusieurs questions.

* Tout d’abord, il faut savoir que l’Etat ne rembourse pas sa dette tous les ans mais seulement les intérêts de sa dette ; tandis que, chaque année, la dette sociale est progressivement remboursée par la Sécurité sociale (15 milliards d’euros en capital et 2 milliards d’euros en intérêts). C’est le rôle de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale) d’assumer ces remboursements. On demande donc plus d’efforts à la Sécurité sociale qu’à l’Etat, ce qui n’est pas illogique en temps normal : une génération doit financer ses propres dépenses de redistribution et ne pas les transmettre aux générations futures. Mais nous sommes dans des circonstances exceptionnelles : on pourrait décider que la Sécurité sociale n’ait à rembourser que les intérêts de sa dette pour un temps défini. L’enjeu est de 15 milliards d’euros par an qui pourraient être dégagés pour les besoins du secteur de la santé.

* Dans la droite ligne du rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale remis au Premier ministre en novembre dernier, j’estime qu’il est primordial de respecter l’autonomie du budget de la Sécurité sociale. Selon ce principe, ce serait à la Sécurité sociale elle-même de renflouer son déficit. Ce qui amène à envisager une hausse de ses ressources par le biais de nouveaux prélèvements obligatoires. On retombe sur la nécessaire pédagogie pour faire passer une telle mesure. Mais on peut penser qu’il y a aujourd’hui une fenêtre de tir pour un effort bien proportionné de CSG, raisonnable et équitable, envers du système de santé ou du grand âge.

Vous qui êtes l’auteur du rapport « Grand âge et autonomie » de mars 2019, quel est votre regard sur la tragédie des Ehpad ?

La loi dépendance tant attendue n’ayant pas vu le jour, les Ehpad n’ont pas abordé cette crise dans les meilleures conditions en termes de moyens et de personnel. On peut parler de procrastination sur les politiques du grand âge depuis de nombreuses années.

On le voit avec cette épidémie, le premier sujet, c’est la continuité des soins en Ehpad et à domicile, quand des soignants déjà peu nombreux en temps normal sont eux-mêmes dans l’incapacité de travailler du fait de la maladie. Il est absolument nécessaire, comme l’a montré le rapport El Khomri d’octobre 2019, de revaloriser ces métiers pour attirer des jeunes, des moins jeunes et les fidéliser. Au moment où le chômage va s’accroître, cela peut être un élément du plan de relance.

Pour l’avenir, il faudra que cette loi dépendance soit enfin votée et donne suffisamment de moyens aux Ehpad mais aussi au maintien à domicile dont on mesure l’importance dans cette épidémie. Il convient de revoir le modèle Ehpad et de piloter par la qualité. Il faut allers vers des systèmes d’allers-retours domicile-établissement, des Ehpad découpés en plusieurs petits bâtiments pour faciliter l’isolement en cas d’épidémie et du personnel très qualifié.

* Dominique Libault, conseiller d’Etat, est également directeur général de l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S) et auteur du rapport « Grand âge et autonomie » de mars 2019.