Baisse des naissances : « La question de l’égalité hommes/femmes est absolument centrale », Hervé Le Bras, démographe

Dans son dernier bilan démographique pour l’année 2023, l'Institut national de la statistique et des études économique (Insee) fait en effet état d’une chute du nombre de naissances en France, de moins 6,6 % par rapport à 2022. © 123 RF
Dans son dernier bilan démographique pour l’année 2023, l'Institut national de la statistique et des études économique (Insee) fait en effet état d’une chute du nombre de naissances en France, de moins 6,6 % par rapport à 2022. © 123 RF

Plusieurs mois après les déclarations d’Emmanuel Macron sur la nécessité d’un « réarmement démographique », la question de la chute de la fécondité continue d’occuper le débat public. Mais à quoi est due la diminution du nombre de naissances ? Quels sont les enjeux pour le pays ? Réponses avec Hervé Le Bras, démographe et directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Dans son dernier bilan démographique pour l’année 2023, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) fait en effet état d’une chute du nombre de naissances en France, de moins 6,6 % par rapport à 2022. Cette baisse vous semble-t-elle importante ?

Hervé le Bras : La France enregistre une baisse lente et continue de la natalité depuis les années 2012-2013. Le nombre d’enfants par femme était de deux en 2012, pour arriver à 1,8 en 2022. Puis en 2023 il y a brusquement un décrochage, nettement visible depuis décembre 2022 et qui tombe à 1,69 enfants par femme en janvier 2023. Il s’agit de l’une des valeurs les plus basses de l’histoire de la fécondité française.

Comment expliquer cette baisse de la natalité ?

Hervé Le Bras : Comme toujours, il est difficile d’interpréter ces observations. Même le baby-boom des années d’après-guerre n’est pas encore très bien expliqué… Prenons tout d’abord la baisse lente qui remonte aux années 2010. Pour la comprendre, il faut regarder autour de nous, dans les autres pays comparables. Les mêmes mouvements sont observés dans les pays occidentaux. Au sein de l’Union européenne, il y a une convergence vers une fécondité assez faible d’à peu près 1,55 enfants par femme. Mais ce n’est pas la seule explication.

Quels sont les autres éléments à prendre en compte ?

Hervé Le Bras : La seconde explication se trouve dans l’équilibre qui peut exister à l’intérieur des couples. Pendant longtemps, les femmes qui étaient en âge de procréer étaient moins diplômées que les hommes. Maintenant c’est l’inverse. Les femmes sont nettement plus diplômées que les hommes. Or lorsque l’on regarde les statistiques de l’Insee sur la participation des hommes aux tâches ménagères ou à l’éducation des enfants, il n’y a pas de réelle progression

Mais les femmes ne comprennent plus pourquoi, si elles ont des diplômes équivalents ou supérieurs aux hommes, ce serait à elles de s’occuper de la maisonnée… La baisse de la natalité est donc assez largement liée à cette évolution du niveau d’éducation des femmes. Et d’un point de vue démographique, la question de l’égalité entre les hommes et les femmes est absolument centrale. Enfin, il y a un dernier élément à prendre en compte, typiquement français celui-ci, celui de la « stigmatisation » de l’enfant unique.

Ce phénomène est-il toujours d’actualité ?

Hervé Le Bras : Aujourd’hui, il me semble que ce n’est plus le cas. En France, dans les années 50, ce n’est pas le nombre de familles nombreuses qui a progressé, mais la part des couples qui n’avaient pas d’enfant ou un enfant unique qui a très nettement diminué. Et cela est lié à une très forte propagande de l’entre-deux guerres concernant l’enfant unique. L’idée d’un enfant seul était mal vue, car ce dernier s’ennuierait. Ne pas avoir de frère ni de sœur était dommageable pour lui. L’enfant devait être en contact avec d’autres enfants pour se développer. Ce qui a d’ailleurs poussé à la construction de crèches, de maternelles… Mais cette stigmatisation de l’enfant unique ne semble plus d’actualité.

Hervé Le Bras, démographe et directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) © DR
Hervé Le Bras, démographe et directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). © DR

Pensez-vous que les inquiétudes environnementales pourraient expliquer la baisse des naissances ?

Hervé Le Bras : Je suis assez sceptique là-dessus… Si c’était le cas, il faudrait que la baisse de la fécondité soit nettement plus élevée chez les femmes jeunes que chez les femmes un peu plus âgées. Or ce n’est pas le cas. Les femmes jeunes font certes moins de bébés, mais cela tient au recul progressif de l’âge auquel on fait des enfants. En effet, la naissance du premier enfant est décalée en moyenne d’un peu moins d’un mois chaque année. Or lorsque les naissances sont décalées, la fécondité est bien sûr plus faible aux jeunes âges, et un peu plus élevée à partir de 35 ans. Toute la courbe bouge…

L’éco-anxiété ne se ressent donc pas dans les courbes démographiques ?

Hervé Le Bras : Non cela n’apparaît pas dans les chiffres, il n’y a pas de trace dans les courbes. Alors ce n’est pas du tout impossible qu’individuellement il y ait des cas. Bien sûr les jeunes sont beaucoup plus sensibles à l’écologie, mais il n’y a pas vraiment d’incidence sur la construction de la famille. Car les décisions de fécondité se prennent vraiment à très petite échelle, au sein du couple, de la famille, de l’environnement immédiat des personnes… Les phénomènes généraux ont très peu d’incidence.

La situation économique du pays, la dégradation des services publics comme les crèches ou les hôpitaux peuvent-elles freiner la natalité ?

Hervé Le Bras : C’est très difficile à démontrer, mais a priori il n’y a pas de trace de cela dans la récente baisse de la natalité. Et sur le long terme, il n’y a pas de rapport entre les mouvements de l’économie et ceux de la fécondité.

Que pensez-vous des récentes déclarations d’Emmanuel Macron sur la nécessité d’un « réarmement démographique » ?

Hervé Le Bras : Emmanuel Macron n’a pas consulté de démographes avant de faire ces déclarations. Aucun des 50 chercheurs démographes de l’Institut national d’études démographiques (Ined) n’a été sollicité sur ce sujet. Et ses allégations sont complètement fausses, disons-le clairement. Le Président a par exemple beaucoup insisté sur le sujet de l’infertilité et de ses conséquences démographiques. Le recul de l’âge de la fécondité entraîne en effet une augmentation de l’infertilité.

Il est dramatique que le chef de l’Etat n’utilise pas les compétences scientifiques de son pays avant de s’adresser à lui.

Mais il a été démontré que si les femmes en âge de procréer ne pratiquaient aucune contraception, à l’âge auquel elles ont actuellement des enfants, elles auraient en moyenne un peu plus de 5 enfants. Donc le vrai facteur qui conditionne cette baisse, ce n’est pas la stérilité, mais l’emploi de la contraception. La stérilité est un problème médical mais son impact est très faible sur la démographie. Il est dramatique que le chef de l’Etat n’utilise pas les compétences scientifiques de son pays avant de s’adresser à lui. Sans oublier que le terme de réarmement est quand même assez ridicule…

L’importance de la population a-t-elle une influence sur la force d’un pays ?

Hervé Le Bras : Non, un pays n’est pas plus fort parce que sa population est plus nombreuse. Il n’y a aucun rapport, même en cas de conflit. La préoccupation d’une natalité importante pour le pays est une considération très française qui remonte au XIXe siècle. A cette époque, la fécondité en France était la plus faible d’Europe. La défaite de la 1870 face à l’Allemagne a d’abord été attribuée à ce problème.

On sait maintenant que les Allemands n’ont pas gagné la guerre parce qu’ils étaient plus nombreux mais parce qu’ils étaient mieux armés techniquement. La question de l’armement reste centrale, comme cela est actuellement le cas dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Mais cette ambition d’une natalité importante est vraiment liée à l’histoire de la fécondité française. Et il n’y a pas du tout de préoccupation de ce genre dans les pays voisins. Les Anglais considèrent par exemple qu’ils sont bien trop nombreux…

La baisse de la natalité est-elle une mauvaise nouvelle pour la France ?

Hervé Le Bras : Si cette baisse se poursuit, cela aura des conséquences sur la population active, et donc sur les retraites. Mais ce problème n’arrivera que dans une vingtaine d’années. Au moment où les naissances qui n’ont pas eu lieu auraient été en âge de travailler. En revanche, à court terme, la baisse de la natalité est plutôt un atout économique. La proportion d’actifs va notamment augmenter, et les dépenses liées à l’éducation seront moins importantes. 

La diminution des naissances profite-t-elle à la planète ?

Hervé Le Bras : Même si le sentiment général est qu’il serait temps d’arrêter la croissance démographique, la principale question reste celle de la consommation. Par exemple, le pays où la fécondité est la plus forte au monde est le Niger, avec 6,8 enfants en moyenne par femme. Mais un Nigérien n’émet pratiquement pas de CO2. D’après les données, un Américain émet 150 fois plus de CO2 qu’un Nigérien. Autrement dit, l’ordre de grandeur des différences de consommation est déterminant. Et d’un point de vue environnemental, attaquer la démographie permet de masquer le problème du consumérisme.