« Une personne sur dix renonce à des consultations chez un médecin généraliste »

La Cnam a mis en place une cellule de lutte contre le renoncement aux soins
La Cnam a mis en place une cellule de lutte contre le renoncement aux soins - crédit photo : 123 RF

L’Assurance Maladie a déployé sur tout le territoire un dispositif innovant de lutte contre le renoncement aux soins. Fanny Richard, directrice de l’Intervention Sociale et de l’Accès aux Soins à la Cnam nous explique son fonctionnement et les bénéfices pour les assurés dans l’accès aux soins.

Comment explique-t-on le renoncement aux soins ?

Les obstacles financiers avec le coût du reste à charge et l’avance de frais demeurent le premier motif de non-recours aux soins. Qu’il s’agisse d’une situation de précarité permanente ou survenue à la suite d’un accident de la vie. Les délais d’attente de rendez-vous médicaux, les problèmes de mobilité, la complexité des démarches comme pour les premières demandes de CMU-C ou d’ACS – même si elles ont été simplifiées ces deux dernières années – représentent d’autres obstacles. Enfin, la méconnaissance des offres de soins et la complexité du  système de santé compliquent encore les choses.

Quels sont les profils les plus touchés par le renoncement aux soins ?

Les travaux menés avec l’Observatoire des non-recours aux droits et aux services (Odenore) ont permis de révéler que le renoncement ne concerne pas uniquement les personnes en situation de grande précarité, mais aussi des actifs confrontés à un accident de vie (chômage, divorce…). En particulier, nous avons constaté de nombreuses situations de renoncement aux soins pour des familles monoparentales.

Combien de personnes cela concerne-t-il ?

Sur les 160 000 questionnaires qualitatifs analysés et les 400 entretiens menés dans le cadre du baromètre, presque un quart de la population déclarait un renoncement aux soins. Ce n’est pas tout d’être couvert, il faut également que les gens soient accompagnés dans la réalisation de leurs soins, en particulier les personnes dites “invisibles” qui ne se déplacent plus aux guichets de la Cpam. Il faut donc aller vers eux, leur permettre de recréer du lien avec l’Assurance Maladie et de retrouver une dynamique positive, en réalisant les soins dont ils ont besoin dans un premier temps. Ce qui peut avoir un impact bénéfique sur d’autres domaines, comme l’emploi par exemple.

Quels sont les soins concernés par le non-recours ?

Toujours selon le baromètre, 1 personne sur 10 renonce à des consultations chez un médecin généraliste ou bien à des analyses biologiques ou des examens médicaux. 28% des renoncements aux soins concernent des actes de spécialistes (consultations ou actes chirurgicaux programmés, en particulier). Puis viennent les soins dentaires prothétiques (23%).

Pourriez-vous expliquer le dispositif mis en place par la Cnam pour pallier ce problème ?

En 2014, nous avons mis en place dans le Gard, une cellule de lutte contre le renoncement aux soins. Depuis ce dispositif a été progressivement étendu sur le territoire métropolitain, jusqu’à être généralisé depuis septembre 2018. Dans une prochaine étape, nous allons le déployer en Outre-Mer. Il faut préalablement établir des diagnostics territoriaux pour connaître plus finement les assurés et mieux appréhender la population locale. En effet, les problématiques ne seront pas les mêmes, en Creuse ou en périurbain.

Comment fonctionne-t-il ?

Alors que jusque-là, les Cpam s’inscrivaient plutôt dans une logique de guichet, ce dispositif est innovant car proactif. Il consiste à aller vers l’assuré en difficulté, après qu’il ait été détecté à l’accueil de la Cpam, par le biais de la plateforme téléphonique ou via un de nos partenaires (service social de l’Assurance Maladie, service médical de l’Assurance Maladie, professionnels de santé, dispositif Pass à l’hôpital,  associations, Pôle emploi, Caf, …). Donc le signalement est fait à la cellule. Puis un agent de la caisse formé va prendre contact avec l’assuré, à qui il proposera un plan de soins, en fonction de ses besoins. L’accompagnement dure jusqu’à la réalisation du soin. En cas de nouvelle difficulté, l’assuré peut contacter de nouveau son accompagnateur personnalisé. Ce dispositif s’inscrit dans une démarche attentionnée.

Combien de personnes ont été accompagnées par ce dispositif ?

En avril dernier, on a franchi la barre des 100 000 assurés accompagnés depuis 2014. Ce dispositif a vocation à être pérenne.

Avec le dispositif, l’Assurance Maladie se recentre sur son cœur de métier…

Ces dernières années, nous avons informatisé nos processus. Désormais, nous avons la capacité de gérer de manière quasi automatisée une grande majorité de la population des assurés. Il fallait trouver le dispositif pour répondre aux besoins d’autres assurés, qui se sentent un peu au bord de la route. Ce dispositif s’appuie sur le rôle d’utilité sociale des agents et le renforce.

Qu’en pensent les professionnels de soins ?

Début juin, un colloque s’est tenu sur le sujet à Paris. Des médecins ont témoigné de leur difficulté à aider les personnes à se soigner, après qu’elles aient été reçues en consultation. Quand une personne repart avec une prescription, elle n’aura pas forcément la possibilité de se soigner au regard de son environnement social. Les médecins demandent à avoir une connaissance fine de ces dispositifs de couverture et d’accompagnement pour pouvoir orienter correctement les assurés.  

Cette demande est d’autant plus nécessaire que les soins ont pris le virage de l’ambulatoire…

En ambulatoire, les professionnels de santé ne sont pas suffisamment préparés à ce type de situation. Ils veulent être informés pour s’assurer de l’effectivité des soins après leur consultation. On se rend compte à quel point notre dispositif est nécessaire. Nous devons davantage coopérer avec les associations et la population médicale libérale pour le faire connaître.