Les causes sont désormais connues mais toujours injustifiables. Les personnes en situation de précarité continuent de subir, en plus de leurs difficultés quotidiennes de vie, des refus de soins liés à la nature de leur couverture maladie, au refus par le professionnel de santé de pratiquer le tiers payant, à l’indisponibilité et à l’éloignement des équipements de santé. Ou, de manière plus sournoise, en se faisant réorienter systématiquement vers un autre médecin.
Pourtant, des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour faciliter l’accès aux soins comme la protection universelle maladie (Puma), la complémentaire santé solidaire (C2S) ou l’aide médicale d’état (Ame). Mais rien n’y fait. Le système demeure complexe et les pratiques discriminatoires pour beaucoup de patients. Si l’on ajoute à ce tableau une sous-utilisation manifeste des actions de recours, du fait du manque d’informations et de la complexité des procédures, on ne s’étonnera pas que cette situation scandaleuse persiste.
Double peine
Sans doute, la crise sanitaire et sociale et ses conséquences sur ces populations auraient pu, auraient dû, entraîner une prise de conscience de l’ensemble des acteurs. Mais le contraire s’est produit. A l’automne dernier, un rapport de Médecins sans frontières relevait un taux de positivité de 55 % au Covid dans les centres d’hébergement, les distributions alimentaires ou les foyers de travailleurs où des tests avaient été conduits. « Il s’agit là de certaines des prévalences les plus élevées rapportées depuis le début de la pandémie », soulignent les auteurs. De son côté, le dernier baromètre de la pauvreté du Secours populaire apporte un éclairage sur l’évolution de la précarité en 2020. Réalisé par l’institut Ipsos, il indique qu’un Français sur trois (33 %) a subi une perte de revenus depuis le confinement, et que, pour 16 %, cette perte est même qualifiée d’importante. C’est le cas d’un tiers des ouvriers et de près d’un quart des personnes au bas de l’échelle des revenus (moins de 1 200 euros nets par mois).
Phénomène aggravant, à cette détresse sociale viennent s’ajouter les difficultés d’accès aux soins. Ainsi à Paris, selon une opération de testing réalisée par le défenseur des droits auprès de 1 500 cabinets médicaux, 38 % des dentistes, 26 % des gynécologues et 31 % des psychiatres seraient concernés. En outre, les spécialistes pratiquant des dépassements d’honoraires sont plus discriminants que ceux du secteur 1. Et lorsqu’un patient au nom à consonance africaine est également bénéficiaire de la Cmu, les refus par les dentistes parisiens grimpent à 45 % et par les gynécologues à 35 %.
Un décret bienvenu
Les voyants sont donc au rouge et le travail à engager est colossal. Mais il y a urgence à le faire, en simplifiant les procédures, en travaillant à changer les pratiques et les mentalités de certains professionnels de santé, en sanctionnant les dérives et en facilitant réellement les parcours de soins des personnes en situation de précarité et de pauvreté. Différents intervenants, comme la Fédération des acteurs de la solidarité, s’y sont attelés et ont mis en place des dispositifs pour identifier les causes d’un refus de soins, repérer et orienter les personnes qui en subissent les conséquences. Le Défenseur des droits, reconnaissant, pour la première fois, le caractère discriminatoire du refus de soins en raison de la précarité sociale, s’est saisi de ce dossier et a recommandé au gouvernement de fixer un cadre légal en vue d’un bon fonctionnement de la prise de rendez-vous en ligne dans le respect du principe de non-discrimination.
Il demande également aux plateformes d’empêcher les refus de soins discriminatoires via un contrôle des informations sur les pages des professionnels de santé. Enfin, dans les suites du Ségur de la santé, un décret a été publié le 2 octobre dernier, définissant la notion de « refus de soin illégitime » comme « l’orientation répétée et abusive, sans justification médicale, vers un autre professionnel ou établissement de santé, ou la fixation d’un délai de rendez-vous manifestement excessif au regard des délais habituellement pratiqués par le professionnel », mais aussi « les pratiques engendrant des difficultés financières d’accès aux soins, c’est-à-dire ne pas respecter les tarifs opposables, les limitations d’honoraires ou les plafonds tarifaires ou encore le refus d’appliquer le tiers payant ou d’élaborer un devis. »
La plupart des associations se sont félicitées de cette clarification juridique car elle acte la possibilité, pour tout usager ou association, de saisir désormais une commission de conciliation, équivalente à une plainte. Au chapitre des regrets, on pointera cependant l’absence, dans ce décret, d’un dispositif d’information des patients qui aurait pu prendre la forme d’une simple affichette dans les cabinets médicaux ou la mise en ligne d’un formulaire accessible par Internet.
Louis Michel