Un salarié en arrêt maladie ne perd plus ses droits aux congés payés : le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a tranché. Une décision qui vient confirmer la condamnation de l’Etat par la Cour administrative d’appel de Versailles en juillet dernier pour mauvaise transposition de la directive européenne sur le temps de travail. Une victoire pour les syndicats. Et la preuve qu’il est possible de se mobiliser pour renforcer les droits des salariés. Le point avec Jacky Albrand, responsable CGT des transports urbains de Reims à l’origine de la mobilisation.
En quoi cette décision de la Cour de cassation est-elle importante ?
Jacky Albrand : C’est une avancée considérable. La première décision ne concernait que les salariés du transport urbain. Celle-ci s’applique à l’ensemble des salariés de droit privé. Elle stipule qu’en vertu de la directive européenne de 2003 et à défaut de sa transcription dans le code du travail, les salariés ne perdent plus leurs droits aux congés payés suite à un arrêt de travail. Quelle qu’en soit la nature : accident, maladie professionnelle… C’est une vraie réussite.
Quelle a été la genèse de cette mobilisation ?
J. A. : Elle est ancienne et fait suite aux arrêts de la Cour européenne de justice de 2009 et 2012. A l’origine, il s’agit d’une initiative impulsée par la Fédération des transports avec les syndicats des transports de Lyon et, en parallèle, avec le syndicat des transports urbains de Reims. C’est une action coordonnée.
La mobilisation vient du secteur des transports. Pourquoi ?
J. A. : Cela s’explique par la pénibilité de nos métiers, avec beaucoup de salariés en arrêt maladie et un taux d’absentéisme record. Coté employeurs, le discours était de dire que les salariés n’étaient pas réellement malades et voulaient se mettre en repos sans utiliser leurs jours de congé. Des propos vécus comme une forme d’injustice.
Quels ont été les leviers pour faire avancer le dossier ?
J. A. : La patience et l’opiniâtreté. Une forme de coordination et de soutien aussi de la part de la Fédération des transports qui a impulsé le combat. Mais ce sont les syndicats en local qui ont mené des actions et obtenu ces victoires. Les premières actions aux Prud’hommes remontent à 2010, c’est long… il faut tenir jusqu’au bout.
Des mesures ont-elles été prises suite à la condamnation de l’Etat ?
J. A. : Non. L’Etat freine des quatre fers. Aucune mesure rectificative n’a été prise pour se mettre en conformité avec le droit européen. Les employeurs, eux, sont dans une forme d’attentisme et de calcul des risques. Pourtant, on sait que c’est possible, car certains groupes ont régularisé. DHL par exemple, le transporteur de marchandises, a décidé d’appliquer la loi avec un effet rétroactif sur trois ans, pour un coût de 600 000 euros.
Le combat n’est donc pas terminé ?
J. A. : C’est une victoire importante mais on ne peut s’en satisfaire. On voit bien que les employeurs sont tentés de faire de la résistance juridique en obligeant les salariés à saisir les prud’hommes pour faire valoir leurs droits. C’est un mauvais calcul, ces actions en justice ont un coût en termes de dommages et intérêts. De plus, face à cette résistance manifeste, les juges risquent de ne pas être très tendres avec les employeurs.
Par ailleurs, d’autres points restent à trancher…
J. A. : Oui, un autre débat juridique n’est pas tranché : à partir de quand peut-on faire valoir ses droits ? Est-ce trois ans, comme lors des recours en appel de salaire ? D’après certains conseils juridiques, il semblerait que les salariés peuvent faire valoir leurs droits à partir de la publication de la directive européenne de 2003, soit vingt ans. Ça change la donne…
Des démarches coordonnées avec d’autres syndicats sont-elles envisagées ?
J. A. : Sur la question des congés payés, aujourd’hui, il n’y a plus vraiment d’utilité. Après il appartiendra, dans les entreprises, à chaque syndicat, de savoir s’il veut travailler en intersyndicale ou pas. L’idée c’est d’agir dans l’intérêt des salariés, si cet intérêt doit passer par une unité syndicale, il n’y pas de raison de s’y opposer. D’autant que les ressources financières des syndicats sont nettement inférieures à celles du patronat, cela peut être une solution pour mutualiser les frais juridiques.