Alors que la campagne électorale touche à sa fin, la santé des Français n’est toujours pas au programme. Le directeur général de la Fédération des Mutuelles de France (FMF) partage ce triste constat. Or pour Laurent Eveillard, il existe des solutions efficaces pour lutter contre les déserts médicaux, l’un des principaux fléaux de notre système de santé. Il explique en quoi les centres de santé sont une réponse à l’accès aux soins. Et pourquoi il est urgent de développer ces lieux de pratique regroupée et coordonnée de la médecine.
Sur la question des déserts médicaux, y a-t-il eu, selon vous, des réponses constructives apportées par les candidats à la présidentielle ?
Laurent Eveillard : La campagne électorale a été d’une grande pauvreté s’agissant des questions de santé. Je n’ai entendu aucune parole forte à ce sujet. La santé des Français n’a pratiquement pas été abordée. Au-delà de la période électorale, les mesures évoquées par les pouvoirs publics et les représentants des partis politiques pour lutter contre les déserts médicaux nous semblent clairement insuffisantes. Aucune des propositions formulées ne pourra combler entièrement le manque de professionnels de santé. Or ce problème concerne aujourd’hui tous les territoires, ruraux et urbains. Et il ne fait qu’empirer et les inégalités territoriales s’accroissent. Les départs à la retraite s’avèrent plus nombreux que les entrées dans le dispositif de soins et les professionnels de santé aspirent à d’autres pratiques.
Quelles sont les solutions proposées et en quoi sont-elles insuffisantes ?
L. E. : Parmi les propositions annoncées par le gouvernement figure une réelle augmentation du numerus clausus, fixant le nombre d’étudiants en médecine. Mais cette mesure ne peut avoir d’effet que dans cinq ou dix ans, car il faut prendre en compte la durée de leur formation. Il s’agit donc d’un élément de réponse à long terme. Par ailleurs, la seule idée d’imposer aux professionnels de santé un lieu d’implantation ne réglera pas non plus la question. Même si elle ne doit pas être écartée. En effet, les déserts médicaux reposent sur une problématique de volumétrie de médecins. Les repositionner à des endroits précis ne fera qu’ouvrir de nouvelles brèches ailleurs… Il restera toujours des territoires non pourvus.
Pour les Mutuelles de France, la lutte contre les déserts médicaux passe par le développement d’une approche regroupée et coordonnée de la médecine. Pourriez-vous développer cette idée ?
L. E. : Il nous paraît en effet essentiel d’offrir aux professionnels de santé une approche renouvelée de l’exercice de la médecine. Ne plus travailler de façon isolée. Evoluer dans une dynamique collaborative en coordonnant les pratiques. L’exercice isolé n’est plus la règle, les médecins se regroupent. Ce qui leur permet d’homogénéiser la prise en charge des patients et de répondre ainsi plus directement à la problématique de l’accès aux soins. Cet exercice coordonné et regroupé de la médecine se pratique dans les centres et les maisons de santé, en premier et second recours. Pour autant, il doit s’entendre d’un meilleur partage des tâches pour accentuer les volumes de prises en charge.
En quoi consiste cette délégation de tâches pour les médecins ?
L. E. : Il existe aujourd’hui plusieurs expérimentations allant dans le sens de l’allégement de la charge professionnelle des médecins. Parmi les nouveaux dispositifs d’une forme de délégation de tâches, il faut noter la mise en place des assistants médicaux. Ces derniers prêtent main forte aux professionnels de santé en assurant certaines missions en amont de la consultation, notamment administrative. Ils peuvent également concourir à l’amélioration du parcours de soin en œuvrant à la coordination des acteurs. Cela reste insuffisant. Car la préparation du patient à la consultation doit être renforcée pour libérer du temps médical. Parmi les autres dispositifs de délégation de tâches, les infirmières de pratique avancée (IPA) prennent en responsabilité des patients atteints de maladie chronique. Elles ont notamment la charge de la surveillance clinique, de la prescription d’examens et du renouvellement d’ordonnance. Elles restent constamment en lien avec le médecin, qui sera de son côté beaucoup moins sollicité.
Au sein de la FMF, vous encouragez cette nouvelle pratique. Pourquoi ?
L. E. : En tant que gestionnaires de centres de santé, nous observons une réelle fluidification de l’offre de soins grâce à ces délégations de tâches. Et nous sommes convaincus de l’efficacité de ces dispositifs pour améliorer l’accès aux soins. Mais il y a un effort pédagogique à faire pour accompagner ces nouvelles pratiques. Par exemple pour faire accepter le suivi par une infirmière de pratique avancée. Or les relations qu’elles peuvent nouer avec les patients, la proximité qu’elles développent avec eux, la continuité de la prise en charge, en font des actrices de premier plan de la prise en charge.
Pourriez-vous rappeler la différence entre un centre et une maison de santé ?
L. E. : Les maisons de santé sont des regroupements de professionnels libéraux. Ces derniers décident de travailler ensemble et de mettre des moyens en commun. Dans les centres de santé, l’ensemble des professionnels de santé est salarié et travaille sous l’égide d’un gestionnaire. Ces structures ont également la particularité de pratiquer le tiers payant et de respecter les tarifs du secteur 1. Elles sont gérées par des organismes non lucratifs comme des associations, mais aussi des mutuelles. A l’heure actuelle, sur les 2 236 centres de santé en activité, 549 sont dirigés par des organismes mutualistes (24 %). Par ailleurs, ces lieux de pratique regroupée et coordonnée de la médecine permettent de décharger les médecins d’une partie de leurs tâches, notamment administratives.
sur les 2 236 centres de santé en activité, 549 sont dirigés par des organismes mutualistes.
Pourquoi augmenter le nombre de centres de santé en France ?
L. E. : En travaillant exclusivement en secteur 1 et avec le tiers payant, les centres de santé permettent un accès aux soins à tous. Y compris aux populations les plus fragiles. Notons toutefois qu’aujourd’hui, la plupart des maisons de santé présentent également ces critères d’accessibilité. Ces modèles ne s’opposent pas.
Comment accroître leur nombre ?
L. E. : Les centres de santé évoluent dans une économie fragile. En effet, comme pour toute l’offre de soins ambulatoires, l’économie des centres de santé repose principalement sur un paiement à l’acte. Car les remboursements par l’Assurance maladie se basent sur le nombre de consultations. Les temps de réunions entre professionnels de santé, de coordination, mais également le suivi du patient, sont quant à eux comptabilisés au titre de l’accord national régissant les rapports des centres de santé avec l’Assurance maladie. Ces moments de concertation et de travail en-dehors des consultations sont conséquents dans les maisons et les centres de santé. Ils fondent l’idée d’une prise en charge globale du patient. Et imposent le développement des rémunérations forfaitaires. Mais ces questions de financements sont toujours délicates. En effet, elles touchent aux rémunérations des professionnels. Et à l’organisation même des soins de premier et second recours. Doublées des réflexions sur les délégations de tâches et leur financement, elles remettent probablement en question le modèle de financement de la santé ambulatoire en France. Le développement de ces organisations de soins impose un renforcement de leur économie pour qu’elles puissent se multiplier.