« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’ elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anti-conceptionnels, nous réclamons l’avortement libre ». Il y a cinquante ans, le Nouvel Observateur publiait un manifeste réclamant le droit des femmes à recourir à l’avortement.
C’est par les mots reproduits ci-dessus, signés de Simone de Beauvoir, que débute le texte publié le 5 avril 1971 dans le n° 334 du Nouvel Observateur. Dans ce Manifeste dit des « salopes », 343 femmes célèbres, actrices, écrivaines, sociologues… déclarent s’être fait avorter. Le geste est fort. L’avortement étant illégal, les signataires s’exposent à des poursuites pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement, comme de nombreux médecins ayant pratiqué des Ivg eurent à le subir dans les années 1970.
Parmi les 343, l’avocate Gisèle Halimi qui, en octobre et novembre 1972, plaide au procès de Bobigny. Cinq femmes y sont jugées : Marie-Claire, mineure, pour avoir avorté suite à un viol commis par un camarade de lycée, et quatre femmes majeures dont sa mère Michèle Chevalier. L’audience se tient le 8 novembre 1972 et de nombreuses personnalités de tous horizons sont venues soutenir les inculpées.
Ce procès suscite des débats passionnés. Des centaines d’articles et d’émissions sont consacrées à l’affaire. Le greffe de Bobigny reçoit des lettres et des pétitions demandant la relaxe des inculpées, ce qu’elles obtiendront. Le 9 janvier 1973, le président de la République Georges Pompidou admet que la législation est dépassée, tout en déclarant que l’Ivg le « révulse ». Il demande que le débat sur la contraception et l’avortement s’ouvre avec l’ensemble des représentants de la société.
Le retentissement considérable du procès aboutit en 1975 à la loi Veil qui dépénalise l’Ivg lors des dix premières semaines de grossesse, délai porté depuis à quatorze semaines d’aménorrhée en 2001.