
Alors que l’attractivité des métiers de l’hôpital est prônée par tous les gouvernements successifs, le mal-être profond des agents hospitaliers ne cesse de croître. Entre cadences infernales, manque de reconnaissance et maltraitance institutionnelle, la souffrance des agents hospitaliers trouve son origine bien au-delà de leurs conditions salariales. Martine Da Luz et Carole Moreira, respectivement présidente et secrétaire générale de l’Union nationale de santé (UNS), alertent sur la perte de sens du métier.
Les conditions de travail à l’hôpital restent-elles un sujet de préoccupation ?
Carole Moreira : Les réformes successives telles que la tarification à l’activité (T2A), la gestion par pôles, la notion de rentabilité de la santé se sont souvent faites sur le dos des patients et des soignants et n’ont fait qu’accentuer le mal-être des agents. On en oublie la vocation de ce métier, la reconnaissance des compétences.
Martine Da Luz : Tous ceux qui sont rentrés avec « l’éthique de la blouse blanche » perdent ce sentiment aujourd’hui. Les agents ont la sensation de n’être plus que des distributeurs d’actes. Le temps relationnel n’est plus au cœur de leur métier. Ils viennent travailler avec la boule au ventre et rentrent chez eux avec le sentiment d’avoir mal fait leur travail.
La maltraitance institutionnelle, c’est aussi laisser un patient sur un brancard pendant vingt-quatre heures, parce que la machine publique a décidé qu’on pouvait faire plus avec moins.
Carole Moreira
Vous parlez de maltraitance institutionnelle ?
M. D. L. : Faute de personnel et de temps, les soignants sont maltraitants malgré eux. Les techniques relationnelles enseignées en formation ne sont pas applicables et cela génère encore plus de culpabilité. Les cadres font face à des plannings ingérables. Nombreux sont les suicides, y compris de médecins. Avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025, on a bien échappé aux trois jours de carence en cas d’arrêt de travail. Mais la prise en charge qui passe de 100 % à 90 % pendant trois mois est un véritable mépris du métier, où l’arrêt maladie est bien souvent le seul rempart pour se protéger.
C. M. : La maltraitance institutionnelle, c’est aussi laisser un patient sur un brancard pendant vingt-quatre heures, parce que la machine publique a décidé qu’on pouvait faire plus avec moins.
Quid de la réforme de la protection sociale complémentaire dans ce contexte ?
C. M. : Nous, mutuelles de proximité, connaissons bien les soignants : l’agent doit avoir le choix de sa complémentaire santé. Quant aux 7 euros prévus pour la prévoyance, ce sont des miettes qui ne prennent pas en compte la carrière de ces agents souvent démolis financièrement, physiquement et moralement.
M. D. L. : Les assurances et les banques qui arrivent sur le terrain de la santé ne sont ni plus ni moins que le cheval de Troie d’un démantèlement progressif de la Sécurité sociale.
Quelles sont les mesures à prendre en urgence ?
C. M. : En priorité, revoir l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam), donner à l’hôpital une enveloppe à la hauteur des nécessités. On est à 3,8 % pour l’Ondam hospitalier quand il en faudrait 6 % pour répondre aux besoins en personnel et en équipements.
M. D. L. : Un tiers de la population aura plus de 60 ans en 2030 et on ferme de plus en plus de lits publics en gériatrie. C’est ubuesque. Il faut aussi un maillage territorial hôpital-médecine de ville.
Comment agir sur la vocation ?
C. M. : En accompagnant le schéma de vie personnel et professionnel des agents avec des équipes pluri-disciplinaires, en travaillant sur la valorisation et l’image de soi.
M. D. L. : Il faut recréer le sentiment d’appartenance, retrouver du lien. Faire des réunions où l’on parle de travail et pas seulement d’organisation ou de technicité, parler de la souffrance, poser des mots sur des maux. Redonner les moyens à l’hôpital.