La santé des femmes au travail : des « maux invisibles »

Femme de dos dans une entreprise de nettoyage
Mieux prendre en compte la santé des femmes au travail 123RF©

Les femmes sont-elles l’angle mort de la santé au travail ? Oui, répondent en cœur quatre sénatrices dans un rapport qui vient d’être publié. Elles invitent pouvoirs publics et entreprises à prendre en compte ce sujet encore trop souvent passé sous silence.

Pendant six mois, les sénatrices Laurence Rossignol (PS), Laurence Cohen (PC), Annick Jacquemet (UC) et Marie-Pierre Richer (LR) ont sillonné la France pour se rendre compte et analyser la situation des femmes dans les métiers du soin, de la grande distribution, du nettoyage et de la représentation. Leur constat est amer : « les répercussions du travail sur la santé des femmes sont encore largement méconnues et minimisées. »

Des risques professionnels sous-estimés

« Il faut chausser les lunettes du genre pour étudier la santé au travail, c’est urgent », soutient Laurence Cohen, sénatrice PC, l’une des autrices du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. En effet, les statistiques sexuées demeurent parcellaires et encore insuffisamment exploitées. Résultat ? La santé des femmes au travail est complètement occultée.

Autre constat mentionné dans le rapport : « Usure physique et psychique, troubles musculo-squelettiques, cancers : les répercussions du travail sur la santé des femmes sont encore largement minimisées. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • 60 % des personnes atteintes de troubles musculo-squelettiques (TMS) en France sont des femmes.
  • On compte en moyenne trois fois plus de signalements de souffrance psychique chez les femmes que chez les hommes.
  • 20 % des femmes ont subi au moins un fait de violence (agression, harcèlement…) dans le cadre de l’année écoulée.
  • 7 agents cancérogènes sont présents dans des produits d’entretien couramment utilisés.

Le cas spécifique du cancer est parlant. Pour Annick Jacquemet, « cette question n’est pas prise en compte sous la question du genre alors que ce sujet est davantage centré sur les femmes ». En moyenne, ces dernières développent des cancers plus tôt dans leur vie que les hommes, alors qu’elles sont encore en activité. La question du retour au travail après un cancer est posée et dans son sillon celle de l’aménagement des postes.

D’autre part, on sait maintenant, études à l’appui (la dernière de l’Inserm), que le travail de nuit augmenterait de 26 % la probabilité de développer un cancer du sein.

La norme dans le monde du travail est « l’homme moyen »

De plus, la norme dans le monde du travail est celle du travailleur masculin et de l’homme moyen. « Cela exclut, de fait, les spécificités touchant les femmes, explique la sénatrice Annick Jacquemet. Un homme moyen n’est pas physiquement taillé comme une femme. »

Pour exemple, des gants trop grands pour les mains des travailleuses laissant passer des produits toxiques ou des chaussures qui ne correspondent pas aux pointures des femmes…

Le rapport souligne également le manque de reconnaissance de l’usure professionnelle dans des corps de métier très féminisés. C’est le cas des professions du soin ou du nettoyage, où 80 % des salariés sont des femmes et où la pénibilité est élevée (port de charges lourdes, horaires décalés…)

C’est quoi être une femme au travail ?

« Etre une femme, c’est avoir des règles, des grossesses naturelles ou liées à l’assistance médicale à la procréation, et peut-être des fausses couches. Mais aussi subir la ménopause, cette étape naturelle de la vie des femmes. Il faudrait d’ailleurs adapter les conditions de travail des femmes ménopausées à cette symptomatologie. Etre une femme ne relève pas de la pathologie. Pourtant, être une femme en apporte », précise Laurence Rossignol.

Dans la vie professionnelle, les cycles menstruels et les volontés de grossesses, par exemple, peuvent créer des freins inégalitaires. 20 % des femmes occupant des emplois ouvriers et de services perdent ou quittent leur emploi en cours de grossesse. Et il existe deux fois plus de discriminations au travail à l’encontre des femmes enceintes ou des mères d’un enfant en bas âge.

D’autre part, 10 % de la population féminine en âge de procréer souffre d’endométriose, ce qui aujourd’hui handicape encore les femmes. C’est aussi une source d’inégalité professionnelle.

Des propositions pour avancer

Le rapport fournit 23 propositions parmi lesquelles :

  • ajouter l’endométriose aux affections de longue durée afin d’en « supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d’arrêts de travail répétés » ;
  • faciliter la reconnaissance des cancers du sein et des ovaires en maladie professionnelle (revoir la liste des critères de pénibilité) ;
  • développer l’élaboration et surtout l’exploitation de données sexuées croisées.

Les recommandations seront portées de manière législative « après les élections sénatoriales », précise la présidente de la délégation Annick Billon. Elles seront par la suite présentées au gouvernement.