
Dans son 30e rapport annuel publié en février, la Fondation Abbé Pierre, rebaptisée Fondation pour le logement des défavorisés, dresse un constat alarmant : 350 000 personnes sont aujourd’hui sans-abri en France. Face à cette crise qui s’aggrave, une vingtaine d’associations a déposé deux recours contre l’Etat pour « carence fautive » dans la lutte contre le mal-logement. Le point avec Maïder Olivier, coordinatrice du Collectif des associations pour le logement.
Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?
Maïder Olivier : Tous les indicateurs se dégradent. En 2024, on dénombre 20 000 sans-abri de plus qu’en 2023. Concernant le mal-logement, qui inclut en plus les personnes vivant dans des logements insalubres, surpeuplés ou précaires, il touche désormais 4,2 millions de personnes. Avec 100 000 nouveaux cas cette année. Nous ne sommes pas surpris par ces chiffres qui témoignent d’un désinvestissement de l’Etat.

Comment expliquez-vous cette aggravation ?
M. O. : Les causes sont multiples. La précarité augmente, les besoins aussi. La production de logements, elle, stagne, voire recule. A cela s’ajoute l’instabilité politique, avec des ministres qui se succèdent sans résultats concrets. Guillaume Kasbarian (ministre du Logement de février à septembre 2024, NDLR), par exemple, a soutenu une loi qui, sous couvert de développer le logement abordable, a affaibli le logement social. En incluant dans son décompte des logements qui n’en sont pas réellement.

Vous dénoncez un renoncement de l’Etat. Comment cela se traduit-il sur le terrain ?
M. O. : Le gouvernement se vante de ne pas supprimer de places d’hébergement d’urgence. Mais la réalité, chaque soir, entre 6 000 et 8 000 personnes appellent le 115. Et elles se voient refuser un hébergement et passent la nuit dehors. Un chiffre largement sous-estimé, car beaucoup ne tentent même plus d’appeler. L’an dernier, une hausse budgétaire de 120 millions d’euros avait été octroyée pour l’hébergement d’urgence. Cette enveloppe s’est évaporée après le remaniement ministériel.

Le rapport met en lumière les difficultés des personnes en situation de handicap. Quels sont leurs principaux obstacles ?
M. O. : Elles sont particulièrement exposées au mal-logement. Les logements qui leur sont proposés sont souvent inadaptés. Ou situés dans des zones isolées, avec des problèmes d’accès aux transports et aux soins. Beaucoup vivent dans une grande précarité. Nous demandons l’abrogation de la loi Elan, qui a réduit à 30 % le nombre minimum de logements accessibles. Et le retour à la loi initiale, qui garantissait l’accessibilité de l’ensemble du parc de logements.
Quels sont les objectifs prioritaires de la Fondation pour le logement des défavorisés ?
M. O. : Nous insistons sur le fait qu’il existe des solutions faciles à mettre en place. Nous demandons la création de 10 000 places supplémentaires. En parallèle, il est urgent de relancer la production de logements sociaux. En 2024, seuls 80 000 logements sociaux ont été financés, ce qui est largement insuffisant.
Vous avez déposé deux recours contre l’Etat pour « carence fautive » en matière d’hébergement d’urgence et de droit au logement opposable (Dalo). Pourquoi ?
M. O. : L’Etat ne respecte pas ses propres lois. Nous demandons qu’il applique le Code de l’action sociale et des familles garantissant un hébergement d’urgence inconditionnel. Sur le terrain, nous constatons des dérives. Ainsi, en Haute-Garonne, une circulaire préfectorale a exclu les personnes sans-papiers de l’hébergement d’urgence. Des critères sont mis en place, comme l’accès à des places d’hébergement aux seules femmes enceintes de plus de six mois ou aux mères d’enfants de moins de trois ans. Et ces critères sont illégaux, il doit y avoir assez de places pour que personne ne dorme dehors.
Quelles sont les conséquences de cette crise sur la santé des sans-abri et des mal-logés ?
M. O. : Les impacts sont dramatiques. Une enquête de la Fédération des acteurs de la solidarité, publiée en 2021, montre que 42 % des sans-abri sont en mauvaise santé. Avec une explosion des troubles psychiques. Par ailleurs, un rapport de l’Unicef et du Samu social de Paris (2022) révèle que de nombreux mineurs vivant à la rue souffrent de stress post-traumatique. Or ces situations laissent des séquelles profondes et durables.