Edouard Durand : « Ecouter et protéger les enfants victimes de violences sexuelles »

Petite fille de dos avec son nounours
Défendre les enfants contre les violences sexuelles 123RF©

Edouard Durand est un magistrat engagé depuis toujours aux côtés des plus jeunes. Il a été nommé, il y a plus d’un an, pour co-présider la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Il raconte son combat.

Edouard Durand © J-Panconi

Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter la mission de la Ciivise ?

Edouard Durand : J’ai toujours pensé que les politiques publiques de la justice pouvaient faire avancer la cause des enfants victimes d’agressions sexuelles. Aujourd’hui, quelque chose de nouveau arrive dans la société. On en parle de plus en plus, la parole se délie. Il est temps d’agir. Les citoyens sont prêts à accepter la réalité des violences et la Ciivise est un formidable outil pour faire bouger les choses. Magistrat, je connais l’ampleur du phénomène, la fréquence et la gravité des violences faites aux enfants. Il faut aller au plus près des victimes, aller chercher les enfants et les protéger, c’est notre devoir.

Chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles en France. Et à peine 2 000 jugements de condamnation par an.

Ciivise

Comment fonctionne la Ciivise ?

E. D. : Nous recevons les témoignages de victimes ou de proches. Nous organisons des réunions en régions et nous avons déjà publié un rapport intermédiaire avec des propositions. Depuis ma nomination, nous avons reçu des centaines d’appels au secours. Et reçu plus de 12 000 témoignages de victimes, de tous âges, agressées sexuellement dans leur enfance. Nous avons aussi recueilli la parole de parents et d’adultes témoins de violences, qui ont raconté leur difficulté à dire cette violence. La Ciivise est aussi devenue un espace de rassemblement des victimes.

Selon vous, les réseaux sociaux ont accéléré la prise de conscience ?

E. D. : Bien sûr, ils sont un outil. Des autrices comme Camille Kouchner, Vanessa Springora ou Christine Angot* ont également fait avancer la cause et ont accéléré l’émergence de la parole des victimes. Elles sont responsables notamment du fait qu’aujourd’hui la société est prête à les écouter, à les comprendre, même s’il reste encore beaucoup à faire pour changer les mentalités. En tout cas, on peut désormais dire aux victimes : « on vous croit et nous respectons votre parole ».

* « La familia grande », Camille Kouchner (éd. Seuil, 18 euros), « Le consentement », Vanessa Springora (éd. Poche, 4,75 euros), « Le Voyage dans l’Est », Christine Angot (éd. Flammarion), 18 euros.

Vous dites qu’il n’y a que la loi pour lutter contre l’impunité des agresseurs…

E. D. : La loi existe déjà, mais elle est insuffisante. Les violences sexuelles faites aux enfants restent extrêmement nombreuses et le nombre de condamnations d’agresseurs est minime. Il faut encore la faire évoluer et garantir son application. Je suis pour le retrait automatique de l’autorité parentale lorsqu’un adulte est reconnu coupable d’inceste ou de violence sexuelle à l’encontre de l’un de ses enfants. Pour mieux protéger l’enfant.

70 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite.

Ciivise

Idem pour lever le secret professionnel des médecins. Le débat est vieux de vingt ans ! Un soignant doit avoir l’obligation de signaler des violences sur mineurs quand il a des preuves et être protégé contre les actions disciplinaires. La Ciivise propose la mise en place d’une obligation de signalement, d’une cellule de soutien et d’une protection disciplinaire.

Il faut également des dispositifs de vigilance pour tout professionnel qui a accès au corps de l’enfant. Et lui apprendre à se protéger.

Vous gardez espoir ?

Bien sûr. L’évolution est en marche si l’on continue de s’en donner les moyens.

Allo 119, 24h/24, 7j/7 : enfance en danger pour dénoncer toutes formes de violences faites aux enfants. Appel gratuit et anonyme.

Pour témoigner : ciivise.fr, ou par le numéro vert : 0 805 802 804. Ou encore par les réunions publiques : la prochaine se tiendra le 14 juin à Rouen.

Défendre les enfants, la mission d’un juge d’Édouard Durand, éd. Seuil, 15 euros.