Alors même que le nombre d’allocataires du RSA a connu une hausse de 8,5 % en 2020, un tiers des personnes éligibles à cette aide ne la touchent toujours pas. Et avant la création de la complémentaire santé solidaire (CSS) fin 2019, environ 40 % (en moyenne) des bénéficiaires potentiels de la CMU-C ou de l’aide à la complémentaire santé (ACS) n’en profitaient pas. C’est le constat dressé par l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) et le Secours catholique dans un rapport récent, qui dénonce aussi l’aggravation de la situation.
Qu’est-ce que le non-recours ? Cette notion renvoie à toute personne qui ne reçoit pas – quelle qu’en soit la raison – une prestation ou un service auquel elle peut prétendre. Particulièrement répandu en France, ce phénomène est mis en exergue dans une vaste enquête rendue publique le 15 avril par l’Odenore et le Secours catholique-Caritas France. On y apprend par exemple que, parmi les personnes accueillies par les équipes de l’association catholique, 29 à 39 % sont éligibles au RSA et ne le perçoivent pas (chiffres 2019).
Ce n’est pas tout : selon le rapport, un quart des personnes qui devraient toucher des allocations familiales n’y ont pas recours. Ce taux ne fait qu’augmenter au fil du temps, surtout chez les ménages étrangers. Autre constat : 10 % des personnes interrogées auraient droit à plusieurs aides mais ne les demandent pas. Enfin, l’enquête souligne également l’importance du non-accès à une complémentaire santé chez les publics rencontrés.
Complexité des démarches administratives
« Je fais comment ? Personne ne me donne les infos, où il faut aller, là, ou là », témoigne Farid, bénévole au Secours catholique de Saint-Quentin. Il illustre ainsi les principales raisons du non-recours : la méconnaissance des prestations sociales et la complexité des démarches administratives. Et surtout : la dématérialisation des procédures, qui « délègue aux demandeurs une part plus large du travail administratif », souligne Clara Deville, docteure en sociologie et contributrice du rapport.
D’autres freins sont régulièrement soulevés par les « non-recoureurs » : la crainte de se voir réclamer des indus et les changements de situation (déménagement, nouvelle activité professionnelle, etc.) qui peuvent entraîner des ruptures de droits. L’enquête montre également que certains facteurs peuvent favoriser le non-recours comme par exemple le fait d’être étranger, chômeur en fin de droits ou de vivre dans un habitat précaire.
Pourtant, « à l’origine des prestations sociales, il y a bel et bien des droits et notamment celui de disposer de moyens convenables d’existence : des droits constitutifs de l’égale dignité de chacun, de sa citoyenneté. Dès lors, qu’un tiers des personnes éligibles n’aient pas accès à certaines prestations qui leur sont dues, c’est comme une plaie dans notre pacte social », écrit Véronique Fayet, présidente du Secours catholique, en introduction du rapport.
Responsabilité collective
Interrogé par Viva, Daniel Verger, responsable des études au sein de l’association, affirme qu’il s’agit là d’une « responsabilité collective », et que chacun peut contribuer à améliorer cette situation. Il prône notamment un contrôle « a posterioriplutôt qu’a priori » pour éviter les périodes de « discontinuité de droits » qui font souvent basculer dans la grande pauvreté. « Les responsables de mutuelles et les travailleurs sociaux peuvent aussi aider à promouvoir un meilleur accès aux droits et mener une action politique en faveur de la simplification des démarches », ajoute-t-il.
Daniel Verger encourage ainsi les acteurs sociaux à mener une communication plus large qui expliquerait précisément qui a droit aux aides. « Le chèque énergie et la prime d’activité vont dans le sens de la simplification des démarches, tout comme la mise en place de la complémentaire santé solidaire en 2019 contribue à diminuer le renoncement aux soins, mais encore faut-il que les modalités d’accès à cette complémentaire soient connues ! »
« Je ne savais pas que j’y avais droit »
Les propos d’une des personnes interrogées durant l’étude illustrent bien cette situation : « Je savais qu’il y avait une aide pour la complémentaire mais je ne savais pas que j’y avais droit, je ne savais pas combien il fallait avoir de retraite… Quelqu’un m’en a parlé et du coup, j’ai porté les papiers. Puis un beau jour, j’ai eu l’aide. Là, je paye 25 euros de mutuelle au lieu de 130 euros ».
Pour inverser la tendance, le Secours catholique formule dix recommandations parmi lesquelles la mise en place d’un accès automatisé aux droits sociaux sur la base de la confiance ou la fixation d’objectifs contraignants de réduction du non-recours pour les organismes. L’association demande également aux pouvoir publics de s’engager à assurer « partout en France, la présence de services sociaux humains et à proximité » et à mettre en place l’expérimentation de « territoires zéro non-recours » comme le préconise la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.
Eléonore Varini