« Des conditions de travail dignes » en urgence pour attirer les soignants

La pénurie de soignants se répercute à la fois sur la qualité des soins, mais surtout sur « les conditions de travail des soignants, avec des horaires à rallonge et un non-respect du temps de travail », témoigne Olivier Dahuron, aide-soignant. © 123RF

Le nombre d’infirmières augmenterait fortement d’ici à 2050, mais moins que les besoins en soins de la population vieillissante, selon une étude de la Dress. Pour Olivier Dahuron, aide-soignant, syndicaliste CGT de l’AP-HP et correspondant de la Mutuelle complémentaire des agents publics, la réalité sur le terrain montre une pénurie de personnel persistante et des conditions de travail dégradées.

Que vous inspire cette étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ?

Olivier Dahuron : C’est une bonne nouvelle. L’hôpital a besoin d’infirmières, et ce métier continue d’attirer, preuve que le contact humain garde tout son sens dans notre société. Mais ces chiffres doivent être nuancés. L’étude inclut des infirmières exerçant jusqu’à 70 ans, ce qui reste une exception. En gériatrie notamment, les conditions de travail sont dures, la carrière est plus courte, autour d’une douzaine d’années.

Comment évaluez-vous l’impact de la pénurie d’infirmières à l’AP-HP ?

O. D. : Depuis la pandémie, il y a eu des départs massifs. On nous assure que la courbe s’inverse, mais sur le terrain, certaines spécialités restent en grande difficulté, comme la gériatrie, la psychiatrie et les soins de longue durée, qui nécessitent une prise en charge lourde. Or, les postes vacants peinent à être pourvus.

Dans certains services, une infirmière peut se retrouver seule, sans la possibilité de quitter son poste, ne serait-ce que pour aller déjeuner.

Pourquoi les besoins en soins augmentent-ils plus vite que le nombre d’infirmières ?

O. D. : La France est un pays qui vieillit. De plus, les conditions de vie, qui s’étaient améliorées pendant des décennies, se sont détériorées depuis les années 1980, ce qui impacte directement la santé.

Quelles conséquences cette pénurie a-t-elle sur les conditions de travail des soignants ?

O. D. : Une dégradation de la santé, avec des horaires à rallonge et un non-respect du temps de travail, au détriment de la vie sociale. La qualité des soins en pâtit aussi : la littérature scientifique montre qu’au-delà de onze heures de travail, le risque d’erreur augmente. Or, dans les faits, les infirmières dépassent souvent les douze heures de service.

Quelles mesures sont mises en place pour augmenter le nombre d’infirmières ?

O. D. : Les horaires dérogatoires, comme les postes de douze heures, deviennent de plus en plus courants. De nombreux candidats les privilégient lors des recrutements pour réduire leur présence à l’hôpital, ce qui est selon moi en contradiction avec l’essence du métier.

Quelles solutions concrètes proposez-vous pour combler cette pénurie ?

O. D. : D’abord, une revalorisation des salaires, adaptée au coût de la vie et à la pénibilité du métier. Le Ségur de la santé a apporté des améliorations, mais cela demeure insuffisant : certaines indemnités ne sont pas intégrées dans le calcul des retraites, et le complément de traitement n’est pas intégré à l’échelle indiciaire, avec le risque d’être un jour supprimé. Aujourd’hui, un jeune infirmier débute avec un salaire à peine supérieur à 2 000 euros.

Que manque-t-il aujourd’hui pour attirer plus de professionnels dans le secteur ?

O. D. : Des conditions de travail dignes. Aux urgences, les conditions se détériorent avec une hausse des agressions. Dans certains services, une infirmière peut se retrouver seule, sans la possibilité de quitter son poste, ne serait-ce que pour aller déjeuner. Une meilleure organisation des pauses et des repas, avec pourquoi pas un repas gratuit fourni par l’hôpital, serait un premier pas vers plus de considération.

Quels changements souhaitez-vous voir dans la gestion des ressources humaines en santé ?

O. D. : Le profil des directions doit évoluer. Aujourd’hui, la plupart des directeurs sont issus d’écoles de commerce. Mais un hôpital ne se gère pas comme une entreprise. Nos collègues, nos patients ont besoin de ce qui ne se vend pas : du temps et de l’écoute. La gestion doit être rigoureuse, certes, mais avec de l’humanité. Les directeurs doivent comprendre la réalité du soin pour prendre des décisions qui vont dans le bon sens.

Propos recueillis par Gabrielle Villa