En clôture du Mois de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), les Journées de l’économie autrement se sont tenues les 29 et 30 novembre 2024 à Dijon. Parmi les débats, celui ayant pour thème « Garantir l’accès à la santé de tous, c’est possible ! » avait notamment pour invité le directeur général de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Pour Viva, Jérôme Voiturier revient sur les nombreux enjeux liés à l’accès à la santé pour tous.
Quels sont les principaux obstacles à l’accès universel aux soins de santé en France ?
Jérôme Voiturier : Les obstacles sont nombreux. D’abord, il y a les inégalités territoriales, avec des déserts médicaux, particulièrement en zones rurales. Même dans des régions bien dotées comme l’Ile-de-France, les délais pour obtenir une consultation s’allongent de plus en plus. Ensuite, le frein financier avec l’augmentation des restes à charge qui pèse lourdement sur les populations les plus précaires. Enfin, l’accès à l’information reste un défi, notamment à cause de la fracture numérique, qui prive certains d’un accès aux ressources et aux professionnels de santé.
Quelles sont les populations les plus vulnérables ?
J. V. : Ce sont souvent celles qui cumulent plusieurs freins : les populations précaires, les détenus, les personnes avec des situations administratives complexes (sans papiers, etc.), les personnes en situation de handicap, qui ont besoin d’un accompagnement spécifique, que ce soit en termes d’accessibilité ou d’attention adaptée.
Que pensez-vous de l’idée d’une réforme de l’aide médicale d’Etat, qui revient régulièrement dans le débat public ?
J. V. : C’est un exemple typique de réforme dont l’objectif n’est pas motivé par des enjeux de santé publique mais par des considérations sécuritaires et migratoires. Soyons clairs : les critiques autour de l’AME sont exagérées, avec des fantasmes sur des soins superflus, comme des opérations esthétiques. En réalité, le coût de l’AME est estimé entre 800 millions et 1 milliard d’euros. La supprimer aurait un impact indirect bien plus élevé que les économies réalisées.
Quelles réformes pourraient améliorer l’accès à la santé pour tous ?
J. V. : Il faudrait commencer par mettre fin à certains déremboursements de soins ou de traitements nécessaires, qui sont contre-productifs. Et notamment la diminution des remboursements liée à l’augmentation, à partir du 22 décembre 2024, des tarifs de la consultation des médecins généralistes, peut entrainer une augmentation du non recours. Pour rappel, cette hausse est liée à la nouvelle convention médicale signée le 4 juin dernier. Pour certaines personnes en situation de précarité, c’est un frein majeur à l’accès aux soins.
D’autres pistes ?
J. V. : Renforcer l’attractivité des métiers du soin et du médico-social est également primordial. Ces professions souffrent d’un manque de reconnaissance et de valorisation, ce qui décourage les vocations. Enfin, il faudra tôt ou tard remettre sur la table la question de la liberté d’installation des médecins, une règle qui remonte à 1927.
Quelle mission la télémédecine peut-elle assurer dans l’amélioration de l’accès aux soins ?
J. V. : C’est un vrai progrès mais qui ne doit pas renforcer les inégalité et remplacer le contact direct, essentiel pour détecter certaines pathologies. Le développement de la télémédecine doit se faire en complément d’un échange humain, non pour pallier l’absence de médecins.
Quel rôle peuvent jouer les mutuelles ?
J. V. : Les mutuelles jouent un rôle essentiel non seulement dans le remboursement des soins, mais aussi dans la prévention et l’accompagnement des assurés. Leur force est d’être présentes de manière concrète sur le terrain, en développant des actions sociales et de proximité.
Comment voyez-vous le système de santé évoluer dans les dix prochaines années ?
J. V. : En 2001, la France était considérée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme le premier système de soin au monde. Ce n’est plus le cas. On note des signes inquiétants comme la fermeture de services d’urgences, de cabinets médicaux. Cette évolution dépendra de la priorité donnée par les pouvoirs publics aux questions de santé publique, notamment au vieillissement de la population.