
Alors qu’elle figurait parmi les bons élèves européens dans les années 1990, la France accuse aujourd’hui un net recul en matière de mortalité infantile. En 2022, elle se classe au 23e rang sur 27 au sein de l’Union européenne. Le professeur Jean-Christophe Rozé, président de la Société française de néonatalogie, nous livre son analyse sans détour.

Qu’entend-on par mortalité infantile ?
Jean-Christophe Rozé : La mortalité infantile regroupe les décès survenus entre la naissance et la première année de l’enfant. Elle inclut la mortalité néonatale, c’est-à-dire les décès survenant dans les 28 premiers jours de vie, et plus spécifiquement la mortalité néonatale précoce, avant le huitième jour. C’est un indicateur suivi de près à l’échelle internationale car il permet de comparer les systèmes de santé entre les pays.
Etes-vous surpris par cette dégradation ?
J.-C. R. : Non. Nous alertons les autorités depuis 2019 suite à une publication de l’Inserm montrant déjà une dégradation entre 2010 et 2015. Depuis, la situation a empiré. Dans les années 2000, la France se targuait d’avoir l’un des meilleurs systèmes de santé au monde. Aujourd’hui, nous sommes à 3,84 décès pour 1 000 naissances contre 1,67 en Suède.
Quelles en sont, selon vous, les principales causes ?
J.-C. R. : Elles sont multiples. Le facteur socio-économique est important : plus les conditions de vie sont précaires, plus le risque de mortalité infantile augmente. Certains territoires, comme la Seine-Saint-Denis, enregistrent des taux particulièrement élevés, vraisemblablement liés à des parcours de soins défaillants. Mais la cause majeure est structurelle. Contrairement aux soins critiques pour les adultes et les enfants, réformés par décret en 2022, les soins néonataux, eux, dépendent encore de textes législatifs de 1998, jamais révisés. Ces textes sont les mêmes que ceux encadrant les maternités, sujet complexe et sensible qui terrorise les politiques.
Qu’en est-il des ressources humaines ?
J.-C. R. : C’est le nerf de la guerre. Le soin néonatal demande des compétences très spécifiques. Cela implique du temps, du peau-à-peau, une prise en charge nutritionnelle et respiratoire pointue. L’idéal serait une infirmière pour un patient. Aujourd’hui, c’est plutôt une infirmière pour deux, voire plus. A Paris, certains lits sont même fermés faute de personnel.
Quelles en sont les conséquences concrètes ?
J.-C. R. : Il s’agit d’un métier passionnant, et très gratifiant lorsqu’on parvient à sauver un enfant d’un kilo, mais encore faut-il pouvoir le faire dans de bonnes conditions. On parle souvent de mortalité infantile, mais moins de morbidité. Le manque de moyens peut entraîner des séquelles à long terme, avec un impact majeur sur les dépenses de santé. J’ai du mal à comprendre pourquoi notre alerte reste ignorée.
Peut-on parler d’un échec des politiques périnatales ?
J.-C. R. : Oui. Il n’y a plus de pilotage depuis des années. La Commission nationale de la naissance, qui réunissait autorités et professionnels, n’existe plus depuis 2017. Pourtant, avec 3 % des nouveau-nés nécessitant des soins critiques, il serait facile, avec les données de l’Insee, d’anticiper les besoins.
Quelle serait la priorité pour améliorer la situation ?
J.-C. R. : La première urgence, c’est la mise en place d’un registre national, comme il en existe en Suède. En France, les données de mortalité de l’Insee et les données médicales du système de santé ne sont pas reliées. Il suffirait pourtant de croiser ces bases, le coût estimé est de moins de 50 centimes par naissance, autant dire dérisoire. Il manque en France une vraie culture du résultat en santé. Ensuite, il faut réformer les soins critiques néonataux, avec des effectifs adaptés, une infirmière pour un patient dans les cas les plus graves, et des formations spécifiques.
Propos recueillis par Gabrielle Villa