Logements sociaux : les préfets, assignés !

Eric Constantin, directeur régional Ile-de-France de la Fondation pour le logement. © Erwann le Gars

La Fondation pour le logement, le Secours catholique et la Fédération des acteurs de la solidarité ont assigné en justice les préfets de Seine-Saint-Denis, Paris, Seine-et-Marne, Essonne, Val-de-Marne, Yvelines, Hauts-de-Seine et Val-d’Oise. Eric Constantin, directeur régional Ile-de-France de la Fondation pour le logement, nous explique cette démarche inédite.

Qu’est-ce qui a motivé cette assignation le 24 septembre dernier ?

Eric Constantin : Sans doute encore plus que dans d’autres régions, en Ile-de-France, le logement social est la clé qui permet à de nombreuses familles de vivre dignement. La loi Egalité et citoyenneté de 2017 devait permettre une meilleure attribution des logements sociaux aux ménages les plus modestes. Elle prévoit que les réservataires (les collectivités locales, Action logement, Etat, bailleurs) consacrent 25 % des attributions de logements aux ménages prioritaires. Un taux qui n’a rien de « démesuré ». Pourtant, depuis une décennie, le taux régional varie, selon les années, entre 10 % et 14 %. Nous n’avons cessé de rappeler cette disposition, sans résultat.

Pourtant, plusieurs études, y compris de services de l’Etat, ont montré que le parc de logements permettrait de reloger les ménages du premier quartile (le premier quartile correspond à la plus petite valeur d’une série telle qu’au moins 25 % des valeurs lui soient inférieures ou égales, NDLR). Pour le dire autrement, les quelques logements sociaux qui se libèrent sont suffisamment abordables pour être attribués à des ménages de ce premier quartile.

Pourquoi assigner les préfets ?

E.C. : Parce qu’ils ont un pouvoir de substitution qui leur permet de faire appliquer la loi. Avant d’en arriver à l’assignation, nous les avons interpellés par courrier, sans obtenir de réponse. Ce silence constitue un refus implicite d’exercer ce pouvoir de substitution. Nous demandons donc au juge administratif de le constater et d’ordonner aux préfets de l’utiliser.

L’année dernière, la région-capitale comptait 880 000 demandeurs de logements sociaux pour seulement 65 000 attributions annuelles. Parmi ces dernières, environ 48 000 concernent des logements situés hors des quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Nous demandons donc que 25 % de ces 48 000 logements soient attribués à des ménages du premier quartile. Cela représenterait environ 11 000 attributions, contre 7 000 aujourd’hui (6 000 pour les ménages du premier quartile et 1 000 dans le cadre des programmes de renouvellement urbain ou de requalification de l’habitat dégradé).

Comment expliquez-vous que les préfets ne s’emparent pas de cette disposition ?  

E.C. : Il faudrait leur poser la question, mais je ne pense pas qu’il y ait une seule explication. Ce qui se passe à Paris n’est sans doute pas la même chose qu’en Seine-et-Marne. Je ne crois pas non plus qu’il existe une ligne de conduite officieuse à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que le recours aux outils contraignants ne fait pas partie de la culture du secteur du logement. On observe la même forme d’inertie avec d’autres dispositifs, tels que les arrêtés de carence (qui ciblent les communes ne respectant pas leurs obligations de construction de logements sociaux), ou encore avec la possibilité pour les maires et les préfets d’agir contre l’habitat insalubre. Il faut que cela change.