« Les mutuelles n’ont pas d’argent magique ni d’actionnaires à rémunérer »

Carole Hazé
Carole Hazé, présidente de Solimut Mutuelle. © DR

Les fins d’année sont propices aux bilans et aux projections budgétaires. Nous avons demandé à Carole Hazé, présidente de Solimut Mutuelle, de nous livrer son analyse sur l’activité de sa mutuelle en 2021 et sur ses perspectives pour 2022. Elle élargit son propos en détaillant les évolutions récentes du secteur de la complémentaire santé et leurs conséquences. 

Nous approchons de la fin de l’année 2021. Vous avez sans doute une idée assez précise du bilan et du résultat de l’exercice en cours ? 

Carole Hazé : Cette année a été à nouveau un exercice atypique compte tenu de la crise sanitaire et sociale que nous traversons. Cette crise multiforme a bousculé nos pratiques gestionnaires et mis à rude épreuve nos principes de fonctionnement. Mais, malgré l’accumulation de difficultés de toutes sortes, nous avons fait le maximum pour maintenir le cap. D’abord en restant attentifs et présents auprès de nos adhérents au travers d’actions de soutien et d’accompagnement solidaire, et par la poursuite d’actions de prévention et de promotion de la santé sur des formats adaptés à la situation sanitaire.

Ensuite, nous avons maintenu la conduite de notre plan de consolidation pour tendre à l’équilibre malgré un contexte défavorable entre la mise en oeuvre de la résiliation infra-annuelle, la concurrence agressive, le dumping et la mise en place de réformes gouvernementales comme le faux « 100 % santé » dont le financement est imputé sur les seules mutuelles. Ce qui déséquilibre leurs résultats. 

Cet exercice était également atypique en raison d’une campagne insistante de dénigrement des mutuelles et de l’instauration d’une nouvelle taxe sur leur activité ? 

C. H. : Avant la crise sanitaire, les contrats santé étaient déjà taxés à 14,1 % alors que, je le rappelle, un hamburger ne l’est qu’à 5 %. Visiblement, cela ne suffisait pas à ce gouvernement qui, après nous avoir accusés de faire de l’argent sur le dos de la pandémie, a décidé d’appliquer une nouvelle taxe pour un montant total d’1,5 milliard d’euros, soit désormais plus de 15 % de la cotisation des adhérents.

Pour Solimut, cela représente un prélèvement de 9 millions d’euros. Cette taxe Covid a ponctionné le montant des cotisations des adhérents non utilisées du fait du report des soins durant les confinements. Pour autant, nous avons choisi de ne pas l’ajouter à l’évolution des dépenses de santé pour le calcul des cotisations 2021. Et si les complémentaires ont pu observer en 2020 de moindres dépenses de santé suite à la baisse de recours aux soins pendant les périodes de confinement, elles ont constaté, dès la fin de l’année dernière, un « effet rattrapage de soins ».

Ainsi, sur les deux milliards de moindres dépenses de santé, la taxe représente 1,5 milliard d’euros et le rattrapage 500 millions. Nous n’avons donc pas fait d’économies du fait de la crise. Mais nous avons également vu l’impact de la réforme du reste à charge zéro en année pleine pour un coût supplémentaire de 140 millions d’euros en 2021. Nous avions alerté, nous l’avions clamé, haut et fort, mais le gouvernement, campé dans ses certitudes, n’en a pas tenu compte et a maintenu la taxe Covid en 2021. Cette décision politique a impacté directement nos capacités de redistribution et de soutien à nos adhérents. 

Dans quel état d’esprit abordez-vous l’année 2022 ? 

C. H. : Cet exercice comporte beaucoup d’incertitudes et les échéances électorales du printemps ne sont pas les moindres. Mais je veux dire d’emblée, d’une manière générale, que l’alourdissement des taxes sur les contrats santé va continuer à limiter fortement nos capacités à absorber les évolutions naturelles des dépenses de santé dues au vieillissement, au progrès médical, au développement des maladies chroniques… mais aussi à brider notre capacité à solvabiliser le nouveau dispositif du reste à charge zéro. Ce n’est pas moins de 89 % d’augmentation en dentaire et de 426 % en audioprothèse qu’il nous faut absorber au-delà des autres besoins de santé.

Or, les mutuelles n’ont pas d’argent magique ni d’actionnaires à rémunérer. Ce sont les cotisations des adhérents qui constituent le pot commun de redistribution des services et prestations. Elles nous permettent par exemple de maintenir et de développer les centres médicaux, dentaires ou optiques de notre réseau de soins Oxance. On le sait, l’augmentation des taxes entraîne une augmentation mécanique des cotisations et, par un effet pervers, un phénomène de renoncements aux soins pour les adhérents les plus fragiles. L’Etat nous impose un rôle de collecteur de taxes pour son compte qui n’est en rien celui d’une mutuelle. 

« Les cotisations constituent le pot commun de redistribution des services. » 

Carole Hazé, présidente de Solimut Mutuelle

Nous sommes des organismes mutualistes dont la solidarité est à la fois le moyen et l’objectif, et, alors que nous subissons le poids de décisions gouvernementales injustes et iniques, nous constatons chaque jour les dégâts qu’elles occasionnent sur la santé de nos adhérents, qui devient, pour nombre d’entre eux, un produit inaccessible. C’est dans ce contexte que nous travaillons à notre budget 2022. Il tentera de tenir l’équilibre face à cette impossible équation, en limitant au maximum ses conséquences pour nos adhérents. Mais le montant global de cotisations devra couvrir le montant global des prestations à verser. 

Qu’attendez-vous des prochaines échéances électorales ? 

C. H. : D’abord, que l’on sorte de ce débat mortifère qui conduit les principaux candidats à cibler leur discours sur l’insécurité, l’immigration, le retour à l’ordre. Ensuite, que l’on aborde les questions qui sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens : le pouvoir d’achat, l’emploi et la santé. Sur ce dernier point, Solimut, la Fédération des Mutuelles de France et la Mutualité Française ont fait des propositions qui concernent le système solidaire de protection sociale, les dépassements d’honoraires, les déserts médicaux, les inégalités sociales de santé… Parmi ces propositions figure la suppression des taxes sur la santé. Cela ferait baisser le coût de la couverture complémentaire santé de plus de 15 %. Cette mesure serait bénéfique à la fois pour l’accès aux soins et pour le pouvoir d’achat. Nous continuerons à la porter dans le débat public. 

Propos recueillis par Louis Michel