« Les biais sexistes dans les soins peuvent avoir de graves conséquences sur la santé des femmes »

Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF). © Gilles Cohen

A l’occasion d’une enquête Ipsos inédite, la Fédération hospitalière de France (FHF) alerte sur les inégalités persistantes entre femmes et hommes dans le système de santé. Le point avec Zaynab Riet, déléguée générale de l’association représentant les hôpitaux et les établissements médico-sociaux publics.

Pourquoi avoir lancé cette enquête ?

Zaynab Riet : A l’occasion des 50 ans de la loi Veil et du premier anniversaire de l’inscription de l’IVG dans la Constitution, nous avons voulu mettre un coup de projecteur sur la santé des femmes. Santé et droits des femmes sont liés. Or, les inégalités persistent, avec des reculs inquiétants sur l’IVG dans plusieurs pays. Il nous semblait important de donner la parole aux femmes, de les interroger sur leur vécu, leur ressenti, leur prise en charge.

Que révèle cette enquête sur les biais sexistes dans la santé des femmes ?

Z. R. : Les chiffres sont éloquents. 51 % des femmes disent avoir vu leurs symptômes minimisés, et 20 % affirment avoir subi une pression pour une intervention non souhaitée. Des données qui confirment que les biais sexistes restent profondément ancrés dans le parcours de soins.

Quels sont les principaux biais sexistes identifiés ?

Z. R. : Ils viennent autant des soignants que de l’entourage. Un tiers des femmes disent avoir vu leurs symptômes banalisés et leur parole remise en question, y compris par leurs proches. Autre biais : l’autocensure. Près d’une sur deux sous-estime sa douleur, ce qui peut fausser le diagnostic et retarder la prise en charge.

Quelles sont les conséquences concrètes ?

Z. R. : Elles sont parfois graves. Certaines douleurs sont attribuées à tort à des causes psychosomatiques ou gynécologiques. C’est le cas pour les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité chez les femmes. Un rapport récent de l’Académie de médecine pointe un retard de prise en charge de l’infarctus, entraînant une surmortalité des femmes. Même constat pour le dépistage du cancer du sein, encore trop faible en France, avec un taux de 46,5 %, contre 54 % en moyenne en Europe.

Pourquoi, selon vous, ces biais persistent-ils dans le système de santé ?

Z.R. : Il y a d’abord un héritage structurel : la médecine a longtemps été pensée par et pour les hommes. Pendant des décennies, les essais cliniques, par exemple, excluaient les femmes à cause de leurs cycles hormonaux. L’autre facteur, c’est la formation : les spécificités biologiques, hormonales et symptomatiques des femmes sont trop peu enseignées. Résultat : une prise en charge souvent biaisée, parce que mal adaptée aux réalités féminines.

Une femme sur cinq dit avoir subi une pression pour des actes médicaux non souhaités. De quoi s’agit-il ?

Z. R. : Cela peut concerner la pose d’un stérilet, un déclenchement d’accouchement, une césarienne ou la prescription d’anxiolytiques. Des décisions parfois prises sans réel échange, ni exploration approfondie des causes.

Pourquoi les femmes ont-elles tendance à sous-estimer leur douleur ?

Z. R. : C’est souvent lié à un conditionnement culturel. On les a habituées à minimiser ce qu’elles ressentent, à ne pas se plaindre, à faire passer les autres avant. Il en résulte une auto-censure qui s’exprime même face à la douleur.

L’enquête montre un vrai clivage générationnel. Les femmes les plus jeunes sont davantage confrontées à la banalisation de leurs symptômes.

Le rapport évoque aussi des remarques inappropriées sur le physique. Quels types de propos reviennent le plus souvent ?

Z. R. : Ce sont souvent des commentaires anodins en apparence. Une femme qui parle de fatigue ou d’irritabilité va entendre qu’elle est « trop stressée » ou qu’elle devrait se détendre. On commente ses règles, sa prise ou perte de poids, son âge… au lieu de s’intéresser aux symptômes. L’apparence prend le dessus sur l’écoute médicale.

Pourquoi les femmes jeunes semblent-elles plus exposées à ces comportements sexistes ?

Z. R. : L’enquête montre en effet un vrai clivage générationnel. Les femmes les plus jeunes sont davantage confrontées à la banalisation de leurs symptômes. Leur parole est plus souvent remise en cause, avec en plus une présomption d’immaturité. Elles ont parfois moins d’assurance pour se faire entendre. Mais ce n’est pas à elles de s’adapter : c’est au système de santé de garantir une prise en charge équitable, pour toutes et tous.

Quelles solutions proposez-vous pour faire bouger les lignes ?

Z. R. : La prise de conscience est là, mais elle demeure encore insuffisante. Il faut renforcer la formation des soignants, intégrer les spécificités féminines dans les protocoles, et mieux prendre en compte le ressenti des patientes. Il est aussi essentiel d’inclure davantage de femmes dans les études cliniques, pour corriger les biais à la source.

Quel rôle peut jouer l’hôpital public dans cette transformation ?

Z. R. : L’hôpital doit être la figure de proue pour impulser un changement durable. Un soignant formé, c’est aussi un citoyen qui fait évoluer les mentalités autour de lui. C’est ce que nous portons avec la FHF avec des conférences sur la santé des femmes, l’intégration de protocoles spécifiques, mais aussi la lutte contre les violences sexistes.

Gabrielle Villa