« Le secteur de la psychiatrie vacille et la “Grande cause nationale” n’est pas à la hauteur » : Delphine Glachant, collectif du Printemps de la psychiatrie

Delphine Glachant, collectif du printemps de la psychiatrie © DR
Delphine Glachant, psychiatre et membre actif du collectif du Printemps de la psychiatrie. © DR

Le gouvernement vient d’officialiser la désignation de la santé mentale comme « Grande cause nationale ». Mais les acteurs du secteur sont nombreux à déplorer le manque de moyens associés. Explications de Delphine Glachant, psychiatre et membre actif du collectif du Printemps de la psychiatrie.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le collectif du printemps de la psychiatrie ?

Delphine Glachant : Le Printemps de la psychiatrie est un collectif fondé à la fin de l’année 2018. Il regroupe des professionnels de la psychiatrie, des patients, des familles… Notre mot d’ordre, c’est de permettre des soins humains et dignes. Cela peut sembler un peu vague, ou une évidence… Mais en réalité, nous constatons depuis plusieurs années que les soins en psychiatrie sont de plus en plus orientés vers les neurosciences. Nous, nous défendons une approche fondée sur l’histoire psychique du sujet, sur la souffrance psychique. C’est un positionnement essentiel.

Et sur le plan des politiques publiques, quelles sont vos revendications ?

D. G. : La première chose, c’est de redonner des moyens à la psychiatrie. Concrètement, cela signifie du personnel, et du personnel formé. Les formations, notamment celles des infirmiers, ont en effet été appauvries depuis longtemps. Il faut rappeler que depuis 1992, il n’existe plus de diplôme spécifique pour les infirmiers en psychiatrie. Côté médecins, la formation durant l’internat est, elle aussi, de plus en plus orientée vers les neurosciences, au détriment d’autres approches.

Vous dénoncez également un manque de moyens…

D. G. : Oui, c’est un manque énorme. Il y a un manque de personnel, un manque d’attractivité… Un cercle vicieux s’est installé. La psychiatrie a été sous-dotée pendant des années, alors même que la demande de soins de la part de la population n’a cessé de croître. Et cela bien avant le Covid.

Les soignants sont déjà à bout. On ne peut pas continuer comme ça. Ni les professionnels, ni les patients ne peuvent tenir dans ces conditions.

A quand cela remonte-t-il ?

D. G. : Dès la fin des années 90. Ce décalage entre les besoins et les moyens a entraîné une dégradation des conditions de travail et d’accueil. Face à cela, de nombreux professionnels ont quitté l’hôpital public, car les conditions étaient devenues intenables. Et plus les conditions se détériorent, moins il y a de soignants pour rester. Cela touche les infirmiers, les aides-soignants, mais aussi les médecins : beaucoup de psychiatres sont partis dans le privé. Résultat : on en vient à fermer des unités, soit par manque d’infirmiers, soit par manque de psychiatres.

Un récent rapport officiel sur les urgences note une augmentation de 21 % de la fréquentation de ces services pour motif psychiatrique.

D. G. : Comme le système est défaillant, les gens n’ont plus d’autre choix que d’aller aux urgences. Mais l’accueil là-bas n’est pas adapté. Les patients restent sur des brancards, dans des services saturés… Le système est réellement en train de vaciller.

La santé mentale a été désignée « grande cause nationale » en 2025. Pensez-vous que cette mesure puisse apporter de vraies solutions à la crise du secteur ?

D. G. : On nous dit que le premier objectif de cette grande cause sera de lutter contre la stigmatisation. Il y aura des campagnes d’information, soutenues par l’Etat. Très bien. Mais à part cette obligation de communication, il n’y a rien d’autre. Pas d’engagement clair sur le sujet des moyens, des embauches, du fonctionnement réel des soins. Or il est urgent de déployer des moyens pour les centres de consultation, pour les services hospitaliers, pour le secteur public. Cette grande cause nationale n’est pas à la hauteur des enjeux. Il faudrait un investissement massif. Il faudrait également repenser l’attractivité des professions.

De quelle manière ?

D. G. : Peut-être avec des primes spécifiques pour la psychiatrie, ou d’autres incitations pour faire revenir les soignants dans le public. Et notamment permettre l’embauche massive de psychologues dans les centres médico-psychologiques (CMP), dans lesquels les délais d’attente sont toujours plus longs… Les soignants sont déjà à bout. On ne peut pas continuer comme ça. Ni les professionnels, ni les patients ne peuvent tenir dans ces conditions.