
Marie-Claude Briet-Clemont est présidente du Conseil économique, social et environnemental régional du Grand Est. Cette instance incontournable de la région risque d’être bientôt supprimée. Au même titre que tous les autres Ceser, et que d’une trentaine de commissions et d’organisations démocratiques. La Cause ? Le projet de loi sur la simplification économique, qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir de ce 8 avril. Explications.
Pouvez-vous nous rappeler ce que sont les Ceser ?
Marie-Claude Briet-Clemont : Le Ceser, ou Conseil économique, social et environnemental régional, est la deuxième assemblée de l’institution régionale aux côtés du conseil régional. Il a une mission consultative essentielle auprès du Conseil régional. Ce dernier doit recueillir son avis, notamment en matière de décision budgétaire. Nous analysons les grandes orientations, réalisons des études et émettons des recommandations pour adapter et faire évoluer les politiques régionales. Par exemple, en matière d’alimentation durable, nos propositions concernant l’appui aux circuits courts de production agricole et d’éducation à l’alimentation santé ont trouvé des concrétisations à travers différents dispositifs des politiques régionales.
Qui compose ce conseil ?
M.-C. B.-C. : Le Ceser représente l’ensemble des forces économiques, sociales et environnementales de la région. Il est composé en région Grand Est de 180 membres. Ces derniers sont issus de 77 réseaux différents, allant des syndicats patronaux et salariés aux associations environnementales, en passant par des représentants du monde de la santé, du tourisme ou encore de la lutte contre la pauvreté. En plus d’apporter une vision à 360 degrés des enjeux régionaux, nous sommes une interface essentielle entre la population et les décideurs régionaux.
Choisir de supprimer les Ceser, c’est tourner délibérément le dos à une certaine vision de la construction démocratique de la République dans notre pays.
Comment est-on passé d’un projet de loi de simplification administrative à une menace pesant sur une trentaine de structures ?
M.-C. B.-C. : On est clairement dans la tentation du populisme. Aujourd’hui, la nécessité d’économie budgétaire – que je ne conteste absolument pas – a servi de prétexte à plusieurs suppressions. Concernant les Ceser, c’est une petite musique qui existe depuis un certain temps. Depuis plusieurs années, à droite de l’échiquier politique, des propositions de loi visant à notre suppression ont été déposées de manière récurrente, notamment au Sénat.
Quels sont les arguments invoqués ?
M.-C. B.-C. : Il y a notamment l’argument selon lequel les Ceser coûteraient trop cher et participeraient au déficit budgétaire. Pourtant, dans le Grand Est, il représente 0,08 % du budget régional. Or actuellement, les collectivités ont souvent recours à des cabinets de conseil privés pour évaluer et orienter leurs politiques. Et cette pratique engendre des coûts importants. En réalité, cette remise en cause s’inscrit dans une tendance plus large. Celle de la suppression des instances de débat démocratique sous prétexte de simplification administrative. Museler ou supprimer ces instances revient à rendre plus opaques les décisions prises par les pouvoirs publics. C’est un vrai danger.
Que signifierait la suppression du Ceser ?
M.-C. B.-C. : Ce serait affaiblir la démocratie participative et perdre un écho indispensable du terrain. Le Ceser constitue, avec le Conseil régional, le socle de la démocratie régionale. Choisir de le supprimer, c’est tourner délibérément le dos à une certaine vision de la construction démocratique de la République dans notre pays. Le Ceser est un maillage local irremplaçable. Il permet d’assurer un débat constructif et d’apporter une expertise d’usage indispensable à l’élaboration des politiques publiques régionales.
Plus globalement, quel est le danger de cette loi ?
M.-C. B.-C. : Depuis plus de vingt ans, tous les liens qui permettaient de construire du collectif, de diffuser une véritable information et de bâtir un esprit citoyen se dissolvent progressivement. Or, pour construire un esprit citoyen, il est nécessaire de garantir l’accès à une information qui permet de se forger un esprit critique. Fondé sur la connaissance et l’analyse. On sait à quel point il est nécessaire d’avoir de la concertation, des regards croisés pour comprendre la complexité de notre société et de notre organisation sociale, économique et environnementale. Et pourtant, paradoxalement, les décisions législatives actuelles détruisent ces espaces de dialogue et d’analyse collective. Pourtant, nous avons plus que jamais besoin de rapprocher le citoyen de la décision politique.
Que prévoit le projet de loi ?
Une trentaine de commissions et d’instances sont menacées de suppression si le projet de loi sur la simplification économique est adopté par le Parlement. Il sera débattu en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 8 avril. Parmi les organismes menacés figurent notamment la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (CNDASPE), la Commission des conseillers en génétique ou la Commission nationale de conciliation des conflits collectifs de travail… Et un amendement visant à éliminer les Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) a également été adopté.
De vives réactions
Ces décisions suscitent de vives critiques, notamment sur la menace qu’elles représentent pour la démocratie. « C’est une attaque frontale à la démocratie citoyenne », a réagi – à propos de la suppression des Ceser –, Gérard Raymond, président de France Assos Santé, organisation de représentation des patients et des usagers. De son côté, le président de la Fédération nationale de la Mutualité Française, Eric Chenut, s’est également exprimé : « Renoncer à ces espaces de réflexion, c’est affaiblir notre pays. »
Par ailleurs, l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) a rappelé que « démocratie représentative et démocratie citoyenne sont deux fondements importants de notre République. Tous deux à préserver et, plus encore, à vivifier, à l’heure où notre pays est largement fracturé. »