Accès aux soins : un fossé inquiétant pour les personnes handicapées

« Beaucoup de personnes handicapées renoncent à leur consultation en découvrant sur place que le cabinet n’est pas adapté à leurs besoins », rappelle Karine Pouchain-Grepinet, conseillère nationale santé d'APF France handicap. © 123 RF
« Beaucoup de personnes handicapées renoncent à leur consultation en découvrant sur place que le cabinet n’est pas adapté à leurs besoins », rappelle Karine Pouchain-Grépinet, conseillère nationale santé d'APF France handicap. © 123RF

Une étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) révèle que 54 % des personnes handicapées vivant à domicile déclarent un mauvais état de santé. Karine Pouchain-Grépinet, conseillère nationale santé d’APF France handicap, décrypte les causes de cette inégalité et appelle à des mesures pour améliorer l’accès aux soins et la prise en charge des personnes en situation de handicap.

Que pensez-vous des 54 % de personnes handicapées déclarant un mauvais état de santé ? Est-ce un chiffre attendu ou surprenant ?

Karine Pouchain-Grépinet : Nous ne nous attendions pas à cette augmentation. En 2021, ce chiffre était de 50 %. Mais cela reste cohérent quand on connaît les difficultés d’accès aux soins en France pour les personnes en situation de handicap.

Cette situation s’est-elle aggravée ces dernières années ?

K. P-G. : Il y a une dégradation générale de l’accès aux soins en France, accentuée par des inégalités sociales et territoriales. Les personnes handicapées sont particulièrement touchées, car elles font face à des difficultés spécifiques liées à leur situation.

Une tumeur est détectée à 1,8 cm en moyenne chez une femme valide, contre 3,5 cm chez une femme en situation de handicap, ce qui réduit les chances de survie.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les personnes handicapées pour accéder à des soins de qualité ?

K. P-G. : Le manque d’accessibilité. Par exemple, pour une femme en fauteuil, le dépistage du cancer du sein est compliqué, car les mammographes ne sont pas adaptés pour un examen en position assise. Et les techniciens ne sont pas formés. Cela entraîne des retards dans les diagnostics : une tumeur est détectée à 1,8 cm en moyenne chez une femme valide, contre 3,5 cm chez une femme en situation de handicap, ce qui réduit les chances de survie et impose des traitements plus lourds. Les personnes avec des troubles autistiques nécessitent des ajustements spécifiques : éclairage, réduction des bruits… qui sont rarement prévus.

Pourquoi 15 % des personnes handicapées renoncent-elles à des soins médicaux, contre seulement 7 % pour le reste de la population ?

K. P-G. : Le frein majeur est le manque d’information. Beaucoup de personnes handicapées renoncent à leur consultation en découvrant sur place que le cabinet n’est pas adapté à leurs besoins. Pour remédier à cela, nous avons créé un annuaire sur Santé.fr, en collaboration avec le ministère de la Santé, afin de recenser les équipements et l’accessibilité des cabinets médicaux. Pour l’instant 8 000 cabinets se sont inscrits, c’est un chiffre insuffisant.

L’aspect financier est-il un obstacle ?

K. P-G. : Beaucoup de personnes handicapées vivent avec les minima sociaux. L’allocation aux adultes handicapés (AAH) ne donne pas droit à la complémentaire santé universelle gratuite et 13 % des titulaires de l’AAH n’ont pas de complémentaire santé. De plus, aux restes à charge visibles s’ajoutent les coûts cachés de certains médicaments ou matériels non remboursés. Ces coûts s’élèvent à 1 500 euros par an, ce qui pousse de nombreuses personnes à renoncer aux soins.

L’étude démontre également que l’obésité est plus fréquente chez les personnes handicapées, pourquoi ?

K. P-G. : Les traitements médicamenteux, notamment dans le cas des handicaps psychiques, entraînent souvent une prise de poids. Par ailleurs, l’accès aux pratiques sportives est plus compliqué en raison du manque de structures, de personnel formé et de la peur du rejet social.

Quelle est la place d’APF France Handicap dans ce combat ? Quels types d’actions menez-vous ?

K. P-G. : Nous agissons sur deux fronts : d’une part, sur le terrain, en apportant un soutien direct aux populations concernées, et d’autre part, en menant un lobbying auprès des ministères et des parlementaires pour garantir que les besoins des personnes handicapées soient bien pris en compte dans les textes officiels.

Si vous aviez une mesure immédiate à proposer aux pouvoirs publics, laquelle serait-elle ?

K. P-G. : La formation des professionnels de santé. Aujourd’hui, le handicap est quasiment absent du cursus médical, à l’exception de quelques modules optionnels. Il est urgent de s’assurer que les futures générations soient mieux formées. Egalement renforcer l’accès à l’information pour orienter les patients vers des professionnels réellement adaptés à leurs besoins.


Voyez-vous des raisons d’espérer une amélioration à moyen ou long terme ?

K. P-G. : Certaines initiatives sont très prometteuses ! Je pense aux centres HandiConsult, qui offrent des dispositifs adaptés pour les personnes handicapées sévères, avec du personnel formé et des lieux bien pensés, ou encore les référents handicap dans les entreprises et dans les hôpitaux, qui facilitent aussi l’accès aux soins. Ces progrès vont dans le bon sens !

Propos recueillis par Gabrielle Villa