« Les Etats-Unis obtiendront les vaccins en premier car ils ont investi pour essayer de protéger leur population » : les propos du directeur général de Sanofi, Paul Hudson, ont mis le feu aux poudres, jeudi 14 mai. Provocation ou chantage ? Eclairage de Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.
Jeudi 14 mai, les propos du directeur général de Sanofi ont créé la polémique. Depuis, ils ont été démentis par le président du géant pharmaceutique. Mais dans un contexte de pandémie, la course au vaccin représente un enjeu financier majeur.
Que pensez-vous de l’annonce du laboratoire de Sanofi à propos du vaccin contre le Covid-19 ?
Affirmer que l’on réservera la primeur du vaccin contre le Covid-19 aux Etats-Unis, n’est pour nous, ni plus ni moins que du chantage. Il faut savoir que Sanofi, entreprise française, qui devrait être au service de la santé et de l’intérêt commun, reçoit de l’argent public à différentes étapes et sous différentes formes : par exemple, le « Crédit impôt recherche ». Pour Sanofi, celui-ci s’élève à au moins 1,5 milliard d’euros sur dix ans, alors que la firme a supprimé 2 800 postes de chercheurs dans le même temps. Cela signifie que la recherche de médicaments, de vaccins, est assumée par des financements publics. En revanche, les profits, eux sont reversés au privé.
Concernant le prix des médicaments ou des vaccins qu’elle vend, l’industrie pharmaceutique justifie les prix exorbitants qu’elle impose, au nom du risque qu’elle prendrait. On voit bien à quel point cette justification est mensongère. Le risque est assumé par le public, seuls les profits sont privés.
On vend donc au plus offrant ?
Oui, les Etats-Unis paient les médicaments au prix fort, contrairement à l’Europe et particulièrement la France. Et, dans le cas du vaccin contre le Covid-19, les Etats-Unis seront prêts à payer cher. D’ailleurs, c’est tout à fait légal même si cela n’est pas acceptable moralement. C’est la loi de l’offre et de la demande. C’est d’ailleurs ce qui se fait, depuis trente ans, pour tous les autres médicaments – en particulier contre le sida et le cancer – dans les pays pauvres. Sanofi est une entreprise implantée en France, mais elle est une multinationale obéissant à une logique de profits au service de ses actionnaires. Le géant pharmaceutique a annoncé en pleine crise sanitaire et économique, avoir reversé 4 milliards de dividendes à ses actionnaires.C’est indécent. Or, on sait que 80 % du chiffre d’affaires de Sanofi repose sur le remboursement des médicaments par l’Assurance Maladie. Nous payons donc les médicaments de Sanofi deux fois : une fois par un soutien public à la recherche, une fois par ses remboursements.
Quelles leçons doit-on tirer de cette crise sanitaire ?
Nous plaidons au sein de notre Observatoire pour une meilleure politique de transparence du prix des médicaments, notamment sur les aides publiques à la recherche et au développement. Cette crise sanitaire nous donne raison. Des médicaments, vaccins, tests, produits de santé développés grâce à l’argent public ne peuvent être vendus à des prix exorbitants. Les modalités de fixation du prix des médicaments ne peuvent se faire qu’à la lumière d’éléments rationnels, dont les montants des contributions à la recherche et au développement.
Au vu de la crise sanitaire que nous vivons et face à la pénurie de médicaments que nous avons observée, notamment dans les services de réanimation, nous demandons une réquisition immédiate des moyens de production de Sanofi pour produire les médicaments dont nous avons besoin, et notamment tous ceux en « tension ». Ainsi, qu’une mise en place d’une chaine de production nationale publique et d’une planification sanitaire, en coordination avec les pays européens et capable d’exporter vers les pays à ressources limités.
Enfin, nous souhaitons une coopération internationale qui garantisse à tous l’accès aux innovations en santé, et non aux seuls ressortissants des pays riches.
Deux propositions de loi, l’une visant à créer un pôle public du médicament, l’autre pour un service public du médicament, sont déposées et seront étudiées à l’Assemblée fin mai.
L’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.