Retraites : « Il est à craindre que cette réforme ne conduise à une catastrophe » Boris Vallaud, député PS

Boris Vallaud et Olivier Faure

La commission spéciale retraite de l’Assemblée nationale a commencé l’examen du projet de réforme lundi 3 février. Responsable du texte pour le groupe socialiste, et vice-président de la commission, le député PS Boris Vallaud, estime que l’examen du texte est soumis à des délais « beaucoup trop courts ». Il considère que les éléments fournis par le gouvernement ne donnent aucune « visibilité de l’impact réel de ce projet » et redoute « une catastrophe pour notre système de retraites ».

– L’Assemblée nationale vient d’être saisie du projet de loi sur les retraites. Comment se présentent les choses ?

C’est très compliqué. En toute bonne foi, on nous demande d’examiner près de 1500 pages dans des délais impossibles. Il faut savoir que le gouvernement a fait le choix de la procédure accélérée. Et en décidant de la mise en place d’une commission spéciale retraite, il retire à l’opposition son droit de demander la nomination de son propre rapporteur, droit effectif quand il s’agit de la commission des affaires sociales.

Les délais sont beaucoup trop courts. Les deux projets de loi (ordinaire et organique) ainsi que l’étude d’impact, nous ont été transmis le vendredi 24 janvier et, dès le mardi 28 janvier, nous devions être prêts pour procéder à l’audition du secrétaire d’Etat chargé des retraites, Laurent Pietraszewski. 4 jours là où le gouvernement a eu plus de deux ans pour travailler sur son projet. Quant à l’examen en commission spéciale, il doit durer 10 jours, du 3 au 12 février, pour un débat en séance publique à partir du 17 février et un vote solennel prévu par le gouvernement le 3 mars. Compte tenu des enjeux de cette réforme, ces conditions d’examen par les députés sont déplorables et incompréhensibles.

– Que pensez-vous du projet de loi qui vous a été soumis ?

Sur les 22 000 amendements qui ont été déposés, notre groupe en a déposé 275 qui concernent tous les points obscurs du texte : la sortie du système des hauts revenus (+120 000 euros/an) qui va coûter 3,7 milliards d’euros par an ; la pénibilité ; l’emploi des seniors ; la situation des femmes qui vont notamment perdre la majoration de 8 trimestres par enfant etc.

D’une façon générale, nous considérons que cette réforme va conduire à une baisse importante du taux de remplacement. Le niveau de vie des retraités va se dégrader de 30% à partir de 2050,  alors même que le départ en retraite aura été repoussé. Certes, le projet de loi contient un minimum contributif à 1000 euros. Mais, les pensions étant indexées sur l’inflation et non sur les salaires, il faut s’attendre à un décrochage de ces 1000 euros par rapport aux salaires, et donc à un tassement notable en terme de pouvoir d’achat. Selon certaines projections, on aura 40% des femmes qui toucheront ce minimum contributif à la retraite, soit 85% du SMIC. Tout cela est plus qu’inquiétant.

Par ailleurs, du point de vue juridique, nous sommes saisis d’une étude d’impact qui, comme l’a dit le Conseil d’Etat, est très mauvaise. Le projet de loi est lui-même incomplet puisque 29 ordonnances et plus d’une centaines de décrets d’application doivent venir le préciser. A noter que la réforme Fillon de 2010 a été adoptée sans aucune ordonnance, et que la réforme Touraine de 2014 n’a été complétée que de 2 ordonnances qui concernaient la situation spécifique de l’Outre-mer.

– Plus généralement, quelle est votre analyse de la méthode du gouvernement concernant cette réforme ?

Ce qui apparaît, c’est l’état d’impréparation de cette réforme. A se demander ce qu’a fait Jean-Paul Delevoye pendant 2 ans. On peut parler d’une incompétence coupable du gouvernement, car au point où on en est, nous n’avons aucune visibilité de l’impact réel de ce projet. Et nous sommes confrontés à un manque de sincérité à travers cette étude d’impact dont les scénarios relèvent du bricolage. Ce n’est pas rassurant. Il est vraiment à craindre que cette réforme ne conduise à une catastrophe pour notre système de retraites.

En outre, l’Assemblée nationale ne pourra intégrer les arbitrages de la Conférence du financement qu’en deuxième lecture, puisque ceux-ci sont prévus pour la fin avril. En première lecture, ce sera un vote à l’aveugle.