Huit millions de personnes sont dans l’incapacité à se servir des outils numériques en France, soit 15 % de la population. Face à la dématérialisation croissante des démarches administratives, lutter contre l’inhabileté numérique devient un enjeu sociétal. Le point avec Jacques Bordron du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) Pays de la Loire, à l’origine de l’étude « Agir contre l’illectronisme en Pays de la Loire ».
Qu’est-ce que l’illectronisme et d’où vient ce terme ?
J.B. : Il s’agit de l’illettrisme numérique. Le terme a été prononcé pour la première fois par Lionel Jospin en 1999 dans le cadre d’un plan numérique du gouvernement. La définition officielle est celle de l’Insee en 2019 : « c’est le fait de ne pas posséder les compétences numériques de base à savoir :
- envoyer des emails,
- consulter ses comptes en ligne,
- utiliser des logiciels,
- ou être dans l’incapacité totale d’accéder à Internet soit pour des raisons financières, soit en raison d’absence de raccordement au réseau. »
Comment déterminer si une personne est en situation d’illectronisme, quels sont les critères à prendre en compte ?
J.B. : Le premier critère est la recherche d’informations. Est-ce que l’on est capable d’aller chercher des informations administratives par exemple. Le deuxième est la communication : pouvoir envoyer et recevoir des courriels. Cela concerne aussi l’utilisation des logiciels courants : traitement de texte, tableurs… et la capacité à sécuriser ses données personnelles.
Quel est le profil des personnes en situation d’illectronisme ?
J.B. : On constate une fracture socio-économique et générationnelle. Une personne de 75 ans sur 2 n’a pas accès à Internet. C’est le cas des départements ruraux peu denses, qui ne sont pas la priorité des opérateurs. 50 % des personnes sont sans diplômes et 41 % des gens ayant des bas revenus n’ont jamais appris à se servir d’outils numériques. Les jeunes aussi sont touchés : beaucoup n’ont pas de boîte mail et privilégient le smartphone au détriment de l’ordinateur.
Quelles sont les conséquences au quotidien ?
J.B. : Pour les jeunes, cela pose des difficultés en termes d’insertion, pour consulter des offres d’emploi ou envoyer un CV. Dans les entreprises, cela créé des situations d’inégalité. Les logiciels évoluent vite et certains salariés se retrouvent en difficulté pour des actions essentielles telles que poser ses congés. Idem pour les formations, dont beaucoup se déroulent désormais en distanciel.
Et dans le domaine de la santé ?
J.B. : Que ce soit pour la prise de rendez-vous médicaux, le dossier médical partagé, Ameli ou les résultats d’examens… tout passe par le numérique. Plus globalement, cela pose la question de l’accès aux droits. Un certain nombre de personnes renoncent à leurs droits car les procédures sont trop longues et complexes. Ils seraient 30 % d’« abandonnistes » selon notre étude.
Quelles sont les pistes à mettre en place pour sortir de l’illectronisme ?
J.B. : L’une des préconisations est l’implication des usagers. A l’heure actuelle il n’y a aucune volonté administrative, idem dans les entreprises qui n’associent pas les salariés à la conception des outils numériques. L’autre piste est l’accompagnement personnalisé. Il existe déjà des médiateurs numériques, mais il faut les développer et mieux définir leurs rôles.
L’illectronisme est un facteur d’exclusion, c’est un problème à prendre à bras le corps si l’on ne veut pas avoir une société fracturée entre ceux qui maîtrisent le digital et ceux qui sont en difficulté et risquent de perdre leurs droits ou d’être sanctionnés.