« Les psychiatres ne font pas le métier pour lequel ils sont formés »

Patrick Lemoine
Patrick Lemoine (photo P. Lemoine)
Patrick Lemoine est psychiatre, docteur en neurosciences et spécialiste du sommeil. Il a publié, avec Boris Cyrulnik, La Folle Histoire des idées folles en psychiatrie (éd. Odile Jacob) désormais en collection poche. L’occasion de faire le point sur la situation de la psychiatrie en France. Pourquoi avoir décidé l’écriture de ce livre ? Patrick Lemoine : Avec Boris, qui est un ami, nous voulions raconter l’histoire de cette discipline médicale récente et confrontée à des contradictions, des errements et des impasses. Pendant des siècles, on a pris en charge les fous sans volonté de les soigner. Dans la Grèce antique, ils étaient élevés avec dignité mais, à chaque catastrophe naturelle ou épidémie, on en sélectionnait deux ou trois que l’on juchait sur des chars fleuris et que l’on baladait pour qu’ils absorbent les miasmes de la ville. Le fou a souvent été considéré comme un talisman ou un messager des dieux qui communiquait avec les humains par l’intermédiaire de ses hallucinations. Il peut être aussi bien un bouc émissaire que l’on met à l’écart des cités qu’une personne que l’on intègre comme l’idiot du village. En tout cas, il a toujours eu un rôle social. A quelle époque «médicalise»-t-on le fou?P. L. : A partir du XIXe siècle, se produit ce que Michel Foucault a appelé « le grand renfermement ». Il va se développer un réseau d’asiles pour les aliénés (du latin alienus, « étranger », « autre »…). La psychiatrie naît officiellement avec la loi de 1838 que l’on doit à Jean-Etienne Esquirol, qui fixe les règles de l’internement des malades mentaux. Cette loi avait été adoptée avec les meilleures intentions du monde dans le cadre de ce que l’on appelait la « psychiatrie morale ». L’idée était de regrouper les fous à la campagne dans de grands établissements avec des champs, des animaux… C’était une bonne orientation à une époque où les thérapies n’existaient pas. Mais le projet a été rapidement dévoyé. Faute de moyens, les asiles ont commencé à tourner grâce au travail des malades. Les moins atteints s’occupaient des courses, du ménage, de la cuisine. Or, comment appelle- t-on un travail fourni sans rémunération dans le cadre d’un internement d’office ? De l’esclavage ? P. L. : Oui. C’était un esclavage pur et simple, des lieux d’oppression qui ont survécu jusque dans les années 1970. Il faut préciser qu’un grand nombre des internés d’office, à l’image de Camille Claudel, n’avaient rien à faire là. Avant l’arrivée des neuroleptiques, la mortalité y était phénoménale et les méthodes terrifiantes. Quand un malade arrivait, on le mettait entièrement nu, on le rasait et on le laissait quinze jours en observation seul dans une cellule. La Seconde Guerre mondiale change la donne. L’expérience de l’univers concentrationnaire rapportée par les rescapés a rendu impossible le maintien des asiles. Ils sont alors remplacés par le système du « secteur », organisation couvrant des territoires d’environ 70 000 personnes et visant à réinstaller les malades dans la cité. Que pensez-vous de la

...

Ce contenu est réservé aux abonnés ou aux adhérents de la mutuelle.
Vous pouvez trouver le code d'accès dans l'édition papier de Viva Magazine, en bas de page dans le cahier central. Aperçu magazine


Veuillez vous identifier pour afficher l'article.

Connexion pour les abonnés ou les adhérents