Les arrêts maladie sont encore une nouvelle fois dans le viseur des pouvoirs publics. Après la proposition de la Cour des comptes de réduire les indemnisations, c’est au tour de l’Assurance maladie elle-même de menacer ce droit. En effet, le 10 septembre 2024, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie, Thomas Fatôme, annonçait son projet d’en « diminuer le volume ». Décryptage avec Jean-Paul Domin, économiste de la santé et maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Reims Champagne-Ardenne.
Que pensez-vous des propos de Thomas Fatôme sur l’objectif de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) de « diminuer de 2 % par an le volume d’arrêt de travail »
Jean-Paul Domin : On commence malheureusement à bien connaître la chanson. Celle qui prétend que responsabilité du trou de la Sécu reviendrait aux usagers, en raison des abus qu’ils effectuent. Le malade est en effet considéré comme un irresponsable qui dépense sans compter. En demandant à son médecin des arrêts maladies. Et ces arrêts maladies coûtent cher.
De quelle manière l’Assurance maladie compte-t-elle s’y prendre pour obtenir cette diminution ?
J-P.D. : Pour diminuer les arrêts maladie, l’idée avancée est de pénaliser les assurés sociaux qui seraient de trop gros consommateurs. Mais également d’inciter les médecins à être beaucoup moins généreux en termes de distribution d’arrêts. Il y aura donc un système de ciblage pour les identifier, et de contrôles pour les pénaliser. Mais pour l’instant, Thomas Fatôme reste encore assez circonspect sur les modalités concrètes qui seront prises. Il faut attendre encore pour savoir ce qui va être décidé.
Quel est l’objectif derrière cette culpabilisation des patients ?
J-P.D. : Le fait de culpabiliser ainsi les personnes malades permet de masquer la réalité des politiques actuelles qui souhaitent limiter le financement de la Sécurité sociale. Il y a en effet deux façons d’expliquer le trou de l’Assurance maladie. Soit ce sont les dépenses qui augmentent trop. Soit, à l’inverse, il s’agit plutôt des recettes qui s’avèrent insuffisantes.
Dans le premier cas, qui est la solution avancée par l’Assurance maladie, on va donc chercher à identifier certains dispositifs. Et à mettre en place des mesures de pénalisation pour tenter de les contrer. En l’occurrence, pour les arrêts maladies, en identifiant les médecins qui prescrivent plus d’arrêts, et les patients qui en ont également le plus.
Quelques mois avant les déclarations de Thomas Fatôme, la Cour des comptes évoquait elle aussi l’idée de réduire les indemnités. Pourquoi les arrêts maladie sont-ils autant dans le viseur ?
J-P.D. : Il y a eu une parenthèse au moment du Covid qui aujourd’hui semble terminée. Le fait de dépenser sans compter, « quoi qu’il en coûte » a laissé place à la pénalisation qui était déjà d’actualité dans les années « anté-Covid ».
Depuis quand ces arguments sont-ils avancés par les pouvoirs publics ?
J-P.D. : Cette rengaine s’est installée depuis le début des années 1980. Et le gouvernement Macron ne déroge clairement pas à la règle. C’est un argument contestable, bien entendu. On ne peut pas attribuer la responsabilité de l’augmentation des dépenses de l’Assurance maladie à certains usagers.
Ces suppositions n’ont absolument jamais été vérifiées. L’existence de ces comportements abusifs n’a jamais été démontrée. Il ne s’agit en rien d’une théorie économique, mais d’un discours idéologique. L’argument de ces soi-disant abus par certains est donc une vision politique.
Thomas Fatôme explique que 60 % de l’augmentation des arrêts maladie est « due à un facteur économique et démographique » et que les 40 % restants ne sont pas explicables… Quel est votre sentiment sur ces chiffres ?
J-P.D. : D’une part, si ces chiffres sont issus de l’Assurance maladie, la méthodologie employée par Thomas Fatôme pour calculer ces pourcentages n’est pas connue. On peut faire dire beaucoup de choses aux chiffres… Cette affirmation nécessiterait quelques précisions. Par ailleurs, le fait de dire que tel ou tel médecin est trop dépensier, et de même pour les patients semble un peu caricatural… Ce ne sont pas là les causes avérées de l’augmentation des dépenses maladie.
Quelles sont ces causes selon vous ?
J-P.D. : Les conditions de vie de plus en plus difficiles en France expliquent l’augmentation des dépenses sociales. Plusieurs éléments tangibles, comme l’inflation, entraînent des difficultés économiques, qui se répercutent directement sur la bonne santé des salariés. Les conditions de travail ont tendance à se dégrader, et une morosité générale pèse sur les salariés.
En tant qu’économiste de la santé, quelle recommandation feriez-vous concernant le budget de la Sécurité sociale ?
J-P.D. : De mon point de vue, investir dans la santé de manière globale serait résolument positif. Cet investissement devrait d’ailleurs être une priorité de politique publique. Même d’un point de vue économique, à l’échelle d’un pays, une main d’œuvre heureuse de travailler est une main d’œuvre qui produit plus. Et les fruits de cette croissance seraient bénéfiques pour l’ensemble de la société. Mais favoriser la bonne santé au travail nécessite obligatoirement de dépenser plus.