Lancement de « La République de l’ESS » pour porter une autre vision du monde

Jérome Saddier

ESS France a lancé le 4 novembre « La République de l’ESS », une plateforme collaborative permettant aux citoyens de co-construire une déclaration de principe qui énoncera la vision du monde de l’ESS. Elle sera rendue publique à l’occasion d’un congrès de l’ESS à l’automne 2021. L’animation de ce projet est prise en charge à différentes échelles à travers les CRESS (chambres régionales de l’économie sociale et solidaire) et les différentes organisations nationales de l’ESS représentatives de ses grandes familles (Mutualité Française, Coop FR, Mouvement associatif, AAM, Mouves, CFF). Initiateur de cette « République de l’ESS », le président d’ESS France, Jérôme Saddier, explique ici qu’il s’agit de « réarmer politiquement l’ESS » dont on voit qu’elle constitue une réponse à la crise actuelle sans être suffisamment identifiée.

– Vous lancez ce mois-ci « La République de l’ESS ».  Quel est l’objectif ?

Le point de départ de cette initiative est une réflexion que je me suis faite au printemps dernier en voyant une profusion de tribunes sur « Le monde d’après ». Je me suis dit que cette autre économie espérée par beaucoup ressemble fortement à l’ESS. On pourrait dire « on a de l’or en barre », mais les gens ne le savent pas. Plus que jamais, il m’a semblé indispensable de mieux faire connaître l’ESS, de valoriser ce qu’elle sait faire, de rappeler sa raison d’être : un engagement collectif pour mener des activités d’intérêt général, à but non lucratif ou lucrativité limitée.

C’est ainsi que nous avons décidé de lancer « La République de l’ESS ». Un projet qui s’appuie sur ma propre tribune du 4 mai dernier intitulée « Pour que les jours d’après soient des jours heureux »**. Il s’agit d’une plateforme collaborative qui va permettre à tous les citoyens de co-construire une déclaration de principe qui énoncera la vision du monde que l’ESS souhaite porter. Le fait que toutes les familles de l’ESS (mutuelles, associations, coopératives, fondations, sociétés commerciales de l’ESS) soient associées à cette déclaration nous rendra légitimes pour dire des choses fortes sur le contexte politique. Avec cette « République de l’ESS », l’objectif est donc de réarmer politiquement l’ESS.

– Sans qu’on le sache forcément, l’ESS a joué et joue encore un rôle clé en réponse à la crise sans précédent que nous traversons. Pouvez-vous le rappeler ?

En premier lieu, l’ESS est très présente et répond en partie à la pandémie par le biais de ses activités sanitaires et sociales. Il faut savoir qu’elle comprend 60% des Ehpads privés (associatifs et mutualistes) et les trois quarts des emplois privés de l’aide à domicile, soit 170 000 salariés. Dans l’ensemble, ces réseaux ont assuré la continuité des soins à domicile sans faillir, se sont montrés pleinement engagés aux côtés des malades et des plus fragiles. Tous ces gens sont au front. Au départ, les ARS (agences régionales de santé) n’avaient pas bien intégré dans l’offre hospitalière le privé non lucratif. Dans cette deuxième vague, c’est davantage le cas. 

Mais, l’ESS répond aussi à la crise économique au travers de ses coopératives (coopératives agricoles, franchises coopératives de la grande distribution, banques coopératives), de ses mutuelles de complémentaire santé et de ses associations, aussi bien tournées vers les plus démunis comme Emmaüs que vers l’alimentation bio et les circuits courts comme en témoigne la multiplication des AMAP (2000 acteurs et plus de 250 000 adhérents).

Il y a, dans le contexte de crise actuel, un enjeu d’unité de l’ESS et de transversalité pour les participants. Prenons, par exemple, les adhérents mutualistes : il faudrait être en capacité de leur proposer des activités associatives, de leur faire savoir qu’ils peuvent bénéficier d’un service rendu par un autre acteur de l’ESS. Il faut avoir l’ambition de « faire communauté ». 

– Qu’attendez-vous des pouvoirs publics en faveur de l’ESS dans cette période de crise ?

Nous attendons que des moyens financiers et humains soient alloués aux têtes de réseau de l’ESS. C’est indispensable car aujourd’hui les structures de l’ESS ont besoin d’appuis logistiques, juridiques, de conseil. En ce qui concerne le plan de relance du gouvernement, on constate qu’1,3 milliard d’euros pourraient bénéficier aux entreprises de l’ESS. Mais, seuls 300 millions d’euros sont fléchés, le milliard restant demandant une mobilisation des acteurs. Ce qui est difficile pour  nombre d’entre eux compte tenu de leurs faibles forces. Il faut repositionner les CRESS (chambres régionales de l’économie sociale et solidaire) comme des interlocuteurs légitimes dans les territoires, à l’instar des chambres de commerce pour les entreprises classiques. 

– D’un côté 1,3 milliard d’euros pour l’ESS dans le plan de relance, de l’autre une taxe d’1,5 milliard d’euros sur les mutuelles, c’est contradictoire, non ?

Cette taxe traduit le manque d’imagination des pouvoirs publics. Ils se permettent de disposer de l’argent des autres. C’est tellement commode. On demande aux complémentaires santé d’avoir des réserves et ensuite on leur prend. 

Plus fondamentalement, l’enjeu pour la Mutualité à l’avenir, c’est de faire masse sur les temps de vie en étant présente de la naissance à l’Ehpad, en passant par l’aide à domicile et la clinique pour les soins. L’enjeu est de devenir incontournable sur les territoires. 

* La plateforme collaborative de la « République de l’ESS » a été lancée le 4 novembre 2020 et sera ouverte jusqu’à la fin de l’été 2020 :

**https://ess-france.org/media/client/gridfichier/actu3/tribunesaddieressetlesjoursdapres04052020.pdf