Pour le professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé publique (EHESP) et chercheur au laboratoire Droit et Changement Social -Cnrs, Gilles Huteau, cette crise de première importance que nous traversons révèle les bienfaits de notre système de santé solidaire composé de la Sécurité sociale et des mutuelles : un égal accès aux soins sans frein financier.
Il plaide pour que les hommages actuels rendus à notre modèle de protection sociale, notamment par le président de la République, soient suivis d’effet au moment de la sortie de crise.
– Cette crise sanitaire sans précédent révèle les bienfaits de notre système de santé solidaire. Quel constat faites-vous ?
Dans cette crise de première importance, notre système de santé solidaire composé de la Sécurité sociale et des mutuelles permet un égal aux soins, sans frein financier. On peut dire qu’en dépit des critiques dont il fait l’objet, ce modèle est solide parce qu’il est solidaire : il s’appuie sur une assise de recettes de toute la population et permet à chacun de se soigner selon ses besoins.
Si l’on compare avec les Etats-Unis où chacun doit avoir une assurance privée individuelle et où un grand nombre de personnes vont avoir dans cette crise des difficultés financières d’accès aux soins (pas d’assurance ou un contrat bas de gamme), notre système démontre ses bienfaits. C’est l’appartenance à une collectivité qui va protéger l’individu, grâce à des organismes d’intérêt général comme la Sécurité sociale et les mutuelles qui ne font pas de profits sur les malades comme les assurances privées.
C’est important de dire solennellement dans un moment comme maintenant, car en temps normal il est difficile de vanter les mérites de la Sécurité sociale qui passe pour être « vieux monde », : notre protection sociale s’inscrit bien au-delà d’un projet de simple couverture des risques sociaux ; c’est un projet de société, un modèle auquel nous avons adhéré en 1945.
– Pourtant les gouvernements ont réduit les dépenses santé depuis de nombreuses années, ce qui a conduit à la crise de l’hôpital ces derniers mois. On se trouve avec moins d’1 lit de réanimation pour 10 000 habitants contre plus de 3 en Allemagne. Ce n’est pas faute d’avoir alerté les pouvoirs publics…
On peut dire que cette crise du coronavirus arrive au plus mauvais moment pour l’hôpital. Celui-ci a trop servi de variable d’ajustement pour garantir l’équilibre de la Sécurité sociale. La question va se reposer dans l’avenir des moyens qui lui sont alloués, de son organisation, de la nécessité de supporter des surcoûts dans certains cas et suivant les zones géographiques. En tout état de cause, il faudra plus de moyens financiers.
– En temps de crise, on valorise notre système de protection sociale. Croyez-vous que ces belles paroles vont être suivies d’effet en sortie de crise ?
Il est vrai que lors de la crise financière de 2008, des hommages ont été rendus à notre système de protection sociale dont on disait à l’époque qu’il avait servi d’amortisseur. Puis, la doctrine néolibérale a repris le dessus et les gouvernements ont repris leurs politiques de réduction des sociaux, avec comme message sous-jacent qu’il est bon que chacun assume les risques qui sont les siens. On voit bien que dans le cas d’une pandémie, cette doctrine qui renvoie l’individu à ses risques et à son choix de se couvrir en santé ou non, à des contrats d’assurance coûteux qui favorisent les plus aisés, est un modèle archaïque. Car, cela revient à laisser une bonne partie de la population sur le bord de la route. Et, si beaucoup n’accèdent pas aux soins pour des raisons financières, cela ne peut que favoriser la propagation du virus. Seul le collectif nous protège.
Toute crise dans l’histoire a conduit à repenser les modèles de solidarité. Ce sera sûrement aussi le cas cette fois. Surtout avec une crise de cette ampleur. Déjà, lors du « grand débat » qui a suivi la crise des « Gilets jaunes », on a vu que les Français plaçaient la santé en N° 1 de leurs préoccupations, ce qui était inattendu. La seule façon de s’en sortir sur les questions de protection sociale, c’est un débat public. Pour que l’ensemble de la population adhère au système, il faut que les pouvoirs publics soient capables d’expliquer la nécessité des investissements en temps normal ainsi qu’en temps de crise sanitaire, et qu’il y ait une lisibilité sur l’emploi des fonds. En outre, il faut développer une autre approche de la performance, non pas fondée sur la rentabilité mais sur la satisfaction des besoins sanitaires d’une population.
On peut dire d’ores et déjà que le discours du 12 mars du président de la République sur les mérites de l’Etat providence tranche singulièrement avec ses propos sur « le pognon de dingue ».
* dernier ouvrage paru : Le droit de la Sécurité sociale, Système et finalités (éd. Presses de l’EHESP, 2019)