« Si on ne change rien, d'ici quelques années, il n’y aura plus de médecins scolaires »

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L’Académie de médecine a sorti, fin octobre, un rapport sur la médecine scolaire. Un cri d’alarme face au manque chronique de praticiens. Pour Pierre Bégué, rapporteur du groupe de travail sur la médecine scolaire, au sein de l’Académie, la situation est devenue intenable.

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Le métier de médecin scolaire est-il en crise ?

Pierre Bégué : Nous avons perdu la moitié de nos praticiens en quinze ans. 80 % des médecins ont aujourd’hui plus de 50 ans et le nombre de candidats qui se présentent aux concours, chaque année, reste très insuffisant. Environ la moitié des postes sont actuellement vacants. Si cette tendance se poursuit, nous allons vers un déficit criant. D’ici quelques années, il n’y aura plus de médecins scolaires, tout simplement.           

Pourtant, les besoins ne font qu’augmenter. On en demande par conséquent toujours plus aux infirmières scolaires, touchées elles aussi, dans une moindre mesure, par une baisse d’effectif.

Quelles conséquences pour la santé des enfants ?

Un enfant passe la majeure partie de son temps à l’école, c’est là que doivent se faire prévention et dépistage. La carence en médecins scolaires soulève donc deux problèmes. D’abord celui des enfants précaires : on compte, en France, 12 millions d’élèves, dont 20 à 25 % sont en situation de précarité. Soit 3 millions d’enfants répartis sur toute la France, qui n’ont bien souvent pas de médecin généraliste pour les suivre. Si l’on prend en compte ce paramètre, la médecine scolaire devient essentielle : elle est leur principal accès aux soins. Et l’on ne parle pas seulement ici de questions médicales, la santé scolaire comprend aussi le psychologue, l’assistante sociale…

Il y a ensuite le problème du dépistage. Si vous dépistez une dyslexie ou une dyspraxie chez un enfant de 12 ans, lors de la seconde visite médicale obligatoire [après celle de 6 ans, réalisée pour seulement 57 % des enfants en France selon un rapport du syndicat des médecins scolaires, Ndlr], c’est déjà trop tard. Pour qu’un trouble détecté soit correctement soigné, il faut une prise en charge dès 8 ans. L’efficacité, c’est la précocité. Si une orthophoniste travaille avec un enfant assez tôt, nous savons que la prise en charge aura 90 % de chance de réussir.

Comment expliquer cette baisse de candidats à la médecine scolaire ?

Ce n’est pas un défaut de vocation, on croise beaucoup de jeunes médecins passionnés qui voient dans la médecine scolaire un champ d’action et de recherche énorme. Mais les conditions de travail sont difficiles : le salaire n’est pas bon, surtout après onze ans d’études. En tant que médecins de l’Education nationale, nous sommes loin de bénéficier des mêmes grilles de salaires que les autres praticiens.

Mais il y a aussi une réelle impression d’isolement à prendre en compte. Infirmier et médecin ne dépendent pas de la même hiérarchie, il n’y a pas forcément beaucoup de dialogue entre les professionnels de santé, contrairement à ce qu’on peut observer dans les hôpitaux. Il faudrait au contraire une vraie équipe de santé avec des objectifs clairs.

On parle d’une situation pourtant bien connue des pouvoirs publics…

En effet, le sujet a souvent été abordé par les syndicats de médecins et d’infirmiers. Il y a eu un rapport de la Cour des comptes en 2011, un rapport du Haut Conseil de la Santé publique en 2013 : ce sont des textes importants, on ne peut pas vraiment faire mieux pour informer…En février 2017, le Sénat a aussi fait le constat d’une situation devenue dramatique. Mais nous avons le sentiment de ne pas être entendus ou que ces éléments sont pris en compte mais avec beaucoup de retard. Et pourtant les choses s’aggravent, les chiffres donnés ces dernières années ne sont déjà plus les bons. La situation est aujourd’hui encore pire que ce qui a été dit. La prévention, en France, n’est malheureusement pas une priorité.

Que faudrait-il faire alors ?

Il faut sortir de l’image qu’on garde de la médecine scolaire et qui est vieille de 70 ans. Bien sûr, nous mesurons les enfants, vérifions leur vue et leur audition, mais nous faisons aujourd’hui beaucoup plus de choses. Le métier s’est à la fois alourdi et enrichi avec ces nouvelles tâches. Pour pouvoir être à la hauteur des attentes, il faut plus de monde et il faut du temps. Notre profession doit être valorisée : si on ne reconnaît pas la spécificité de notre métier, on n’attirera pas les jeunes médecins. Sur ce point, il semble que nous ayons été entendus. La formation spécifique des médecins et des infirmiers est acquise, actée dans les textes. Mais vous aurez beau ouvrir des postes, s’ils ne sont pas pourvus, ça ne changera rien à la situation. Pour cela, il faudrait plus de budget pour augmenter les salaires.

Nous restons attentifs aux décisions du gouvernement. Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, a dit haut et fort que la prévention, à l’école, est primordiale. Cette prise de position nous fait espérer des changements.