Le 10 janvier s’est ouverte à Paris la Conférence du financement qui faisait suite à une mobilisation d’une ampleur inédite. Hugues Vidor, le président de l’Udes*, se dit sidéré que l’Ess n’ait pas été invitée à cette Conférence et déplore le manque de lisibilité de la réforme des retraites.
– Vous avez des réserves sur la réforme des retraites. Pouvez-vous expliquer lesquelles ?
Tout d’abord, il nous paraît insensé que l’ESS ne soit pas autour de la table de la Conférence du financement qui s’est ouverte le 10 janvier. Nous avons décidé d’écrire au Premier ministre en urgence, considérant que cette Conférence va sûrement s’étaler sur plusieurs semaines et qu’il n’est pas trop tard pour y être associés. Il faut sans cesse rappeler que l’ESS représente 10% de l’emploi, 14,5% de l’emploi privé et 2,3 millions de salariés. Des salariés qui sont, bien sûr, intéressés par les arbitrages financiers concernant leur retraite.
Cela dit, il y a pour nous un problème de méthode. Nous regrettons qu’il n’y ait pas eu une vraie négociation mais seulement de la concertation, aussi bien avec Jean-Pierre Delevoye qu’avec le gouvernement. Quand il s’agit d’une véritable négociation, on arrive à un consensus, on respecte les acteurs et cela débouche sur du positif. Tout ne se décrète pas d’en haut. Les corps intermédiaires ont un rôle majeur de régulateurs dans la vie sociale. Certes, faire vivre la démocratie sociale est souvent complexe, cela prend du temps, mais ça marche. Si on nie ce rôle, on a des fractures, des expressions qui débouchent sur de la violence, comme on a pu le voir avec les Gilets jaunes. On est très attaché au système paritaire mis en place en 1945. L’ESS, productrice de sens et de lien social, s’inscrit pleinement dans la défense du paritarisme. C’est capital.
– Que pensez-vous de la réforme des retraites sur le fond ?
Nous sommes favorables à un système qui permette de l’universalité et de l’équité entre les différentes catégories. A la condition que soit immédiatement associé à l’universalité le principe de solidarité. Le projet du gouvernement contient des éléments de solidarité, comme la pension minimale ou l’avantage accordé dès le premier enfant. Mais, pour nous, la solidarité doit s’exercer aussi dans la contribution au nouveau régime. Or, le projet a décidé que les cadres gagnant plus de 120 000 euros par an ne cotiseront plus à hauteur de 28% mais de 2,8%. Jusqu’alors les cadres cotisaient comme les autres jusqu’à 320 000 euros par an. Nous considérons qu’il faut réintégrer ces hauts revenus dans la contribution au régime car cela conduit à un manque à gagner estimé à 6 milliards d’euros.
Par ailleurs, sur le fond, la réforme pose un vrai problème de lisibilité : les gens ne peuvent pas se projeter dans l’avenir et avoir une idée du montant de leur pension. Ceci d’autant que la cacophonie des responsables sur le sujet (clause du grand-père…) alimente de la suspicion et un manque de confiance envers les pouvoirs publics.
– Au-delà des retraites, quelles sont vos attentes en ce début d’année ?
Nous sommes très préoccupés par le report de la réforme de la dépendance. Il n’y a même pas de nouveau calendrier précis sur le sujet. Le gouvernement ne prend pas en compte l’urgence de la situation. Dans les Ehpad, il y a des personnels qui sont en train de se révolter. Les centres de santé sur les territoires ont aussi des besoins qu’il faut entendre. Le président de la République avait dit qu’il voulait faire de cette réforme le marqueur social de son quinquennat. On attend toujours et on espère, avec des craintes légitimes, des financements stables et pérennes pour la dépendance, qui soient sanctuarisés. Il faut que le gouvernement comprenne que les dépenses sociales sont des dépenses d’investissement.
Par ailleurs, la suppression des emplois aidés reste dramatique. Les parcours emploi compétences (Pec) qui les ont remplacé ne marchent pas : il y en a seulement 128 000 alors qu’on avait 400 000 emplois aidés. Nous avons proposé au gouvernement des « emplois d’utilité citoyenne » qui seraient financés sur trois ans par l’Etat (80% la première année, puis 60% et 40%). On nous a répondu que le dispositif était très intéressant mais qu’il n’y avait pas de moyens financiers pour cela.
Enfin, le gouvernement vient de décider de baisser de 60 à 40% le taux de réduction d’impôts pour le mécénat d’entreprise (à partir de 2 millions d’euros d’impôts). Cela va avoir un impact négatif sur la générosité des entreprises envers les grosses associations de solidarité (Croix rouge…). C’est très inquiétant.
- * L’Udes rassemble 24 groupements et syndicats d’employeurs (associations, mutuelles, coopératives), soit 60 000 entreprises et 80% des employeurs fédérés de l’économie sociale et solidaire. Elle est la seule organisation multiprofessionnelle de l’ESS.