
Informer ne suffit pas pour faire évoluer les comportements en santé publique. Médecins et chercheurs s’accordent à dire que la réussite d’une opération de prévention repose sur un accompagnement de proximité et des messages positifs, portés par des acteurs engagés sur le terrain.
Comment un défi collectif lancé chaque année à la population a-t-il pu devenir « un élément clé » de la lutte contre le tabac en France ? Ces mots sont ceux de l’OCDE concernant le « Mois sans tabac », qui invite depuis 2016 les fumeurs à arrêter la cigarette en novembre. En 2023, l’organisation intergouvernementale évaluait le programme français contre le tabagisme, et les résultats montraient alors que la campagne annuelle « Mois sans tabac » « améliore les taux de sevrage » et « aboutira à des gains sanitaires et économiques importants dans la durée ». En effet, s’il est maintenu dans sa globalité, le programme national contre le tabac pourrait « éviter environ 4 millions de cas de maladies chroniques jusqu’en 2050 ».
Une stratégie à plusieurs leviers
Comme le rappelle l’OCDE, l’opération se décline en deux temps : une première phase de communication et de mobilisation au mois d’octobre, puis un accompagnement de proximité en novembre. Pour François Alla, professeur de santé publique et chef du service de prévention du CHU de Bordeaux, « le “Mois sans tabac” est particulièrement efficace grâce à sa stratégie à plusieurs leviers : mise en place du dispositif d’aide Tabac Info Service ; accompagnement sur le terrain, notamment sur les lieux de travail ; participation d’associations… Ces campagnes nationales peuvent être très efficaces lorsqu’elles sont soutenues par des relais locaux concrets et opérationnels ».

Au sujet des échecs…
Mais toutes les opérations de prévention d’envergure n’enregistrent pas de tels succès. Ainsi, la vaccination contre les cancers liés aux papillomavirus humains (HPV), pourtant efficace à 90 % pour prévenir certains d’entre eux, est loin d’atteindre les chiffres escomptés. Le site de l’Assurance maladie précise à ce sujet que la couverture vaccinale reste « très insuffisante ».
Il est primordial de véhiculer du positif, et de casser les freins comme la peur et la culpabilité. Car la culpabilité freine tout, bloque tout. Et la peur n’a jamais motivé personne.
Suzette Delaloge, oncologue à l’hôpital Gustave-Roussy
« Les mauvaises couvertures vaccinales sont notamment le fait de stratégies inadaptées pour atteindre les publics concernés », observe François Alla. En l’occurrence pour le HPV, la campagne ciblait les collégiens, mais une communication défaillante, notamment auprès des familles, a largement contribué à ces résultats décevants.
L’importance des acteurs de terrain
« Faire une campagne de prévention sans impliquer les personnes directement concernées ne peut mener qu’à l’échec, note le sociologue Marcel Jaeger. Il est primordial d’aller vers ceux à qui l’on souhaite s’adresser. La notion de proximité est indispensable. »
Les observateurs confirment à ce sujet l’importance des acteurs de terrain, qui peuvent accompagner les publics dans la concrétisation des opérations préventives, « comme les infirmières scolaires, les services de PMI [Protection maternelle et infantile], les associations locales et les mutuelles, qui jouent tous un rôle essentiel, confirme François Alla. Ils agissent au plus près des populations, sur les lieux de vie et de travail, pour promouvoir des comportements sains et forment ainsi un tissu essentiel pour la réussite des actions de prévention. »
« La motivation est un facteur essentiel »
A l’hôpital Gustave-Roussy, l’oncologue Suzette Delaloge est médecin pilote d’un programme préventif novateur, dont l’objectif est d’identifier au plus tôt les personnes présentant un risque accru de cancer afin de leur proposer une prévention personnalisée. Dans le cadre des comportements à risque notamment, comme la consommation d’alcool ou de tabac, « la motivation est un facteur essentiel. Le personnel soignant doit donner envie aux personnes de s’engager. Il est primordial de véhiculer du positif, et de casser les freins comme la peur et la culpabilité. Car la culpabilité freine tout, bloque tout. Et la peur n’a jamais motivé personne. »
Rabâcher ne suffit pas
Mais comment donner envie aux gens de changer leurs comportements ? Une chose est sûre pour tous les spécialistes : en évitant toute forme de moralisation. Stéphane Tessier, médecin de santé publique et docteur en sciences de l’éducation, note : « La seule information ne suffit pas. Ce n’est pas juste en rabâchant qu’il faut “manger cinq fruits et légumes par jour” que les personnes vont le faire. Elles le savent déjà. La vraie question, c’est : pourquoi est-ce que je ferais cet effort ? »
« Parce que je le vaux bien »
Le docteur Tessier imagine alors la déclinaison d’un célèbre slogan publicitaire : « Je vais me soigner parce que je le vaux bien. » Avant de conclure qu’il est « essentiel de sortir de l’injonction pure pour que les personnes puissent adopter d’elles-mêmes les comportements qui leur sont favorables ». Une logique qui s’applique à l’alimentation, à l’activité physique mais également à l’ensemble des « facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent l’état de santé des individus ou des populations », selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette dernière rappelle d’ailleurs que la santé ne se limite pas à l’absence de maladie ou d’infirmité : elle correspond à « un état de complet bien-être physique, mental et social ».
L’HEXAGONE À LA TRAÎNE
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