« Les mutuelles ont un rôle à jouer dans un futur revenu de base », pour Thierry Germain

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Parce que la crise sanitaire a révélé toutes les fragilités de la société, la Fondation Jean-Jaurès estime plus que jamais nécessaire de parvenir à la mise en place d’un revenu de base qu’elle baptise « revenu républicain ». Son expert associé Thierry Germain, qui travaille sur le sujet, estime que cet « enjeu de protection » contre la précarité et la pauvreté est une mesure qu’il faut expérimenter localement, comme cela a été le cas en Finlande, afin de convaincre de son utilité sociale et de sa pertinence. Dans la mise en œuvre d’un tel « revenu républicain », « les mutuelles ont toute leur place pour être dans l’accompagnement en prévention santé » car ce revenu de base ne serait pas versé « pour solde de tout compte ». Il faudrait y associer un soutien dans tous les domaines : formation, recherche d’emploi, santé. 

Thierry Germain : Fondation Jean-Jaurès

– Vous considérez que la mise en place d’un « revenu républicain » est nécessaire en réponse à la crise du Covid-19. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

• Tout d’abord parce que cette crise a révélé toutes les fragilités de la société : on a vu apparaître les inégalités sociales et spatiales, les indépendants sur le fil du rasoir, les agriculteurs en détresse ou encore les jeunes qui n’ont aucune couverture et sont  touchés par l’ubérisation et la précarisation. Face à cela, le « revenu républicain » est un enjeu de protection, car il serait versé automatiquement à partir de 18 ans à tous ceux ayant un revenu inférieur à un plafond (entre 750 et 1000 euros, cela reste à définir). Le projet est de s’assurer que personne n’est pauvre ou précaire. On y a droit car on bénéficie d’une part de la valeur produite par la société, ce qui nous rend pleinement citoyen. C’est pourquoi nous l’appelons « revenu républicain ».

• Ensuite, nous estimons que nombre d’évolutions de notre société sont mal anticipées. On tente de réparer par des aides sociales, mais on ne prévient pas. Le « revenu républicain » est un outil d’anticipation : si on se sent en sécurité, on peut se projeter et mener son parcours professionnel, ce qui n’est pas le cas si on est pris à la gorge. Par exemple : actuellement, le service public de l’emploi met la pression sur les chômeurs ; alors que le « revenu républicain » étant un droit, on accompagne la personne, on n’est pas dans le contrôle-sanction. L’expérimentation de revenu universel menée en Finlande de 2017 à 2018 a montré une amélioration du bien-être physique et psychique des participants. Si l’équilibre d’une personne est restauré, c’est l’équilibre de la société toute entière qui y gagne.

– Quel pourrait être le rôle des mutuelles dans ce dispositif de « revenu républicain » ? 

Il faut bien comprendre que le « revenu républicain » est certes un revenu de base alloué à des personnes, mais c’est aussi de l’accompagnement. Celui-ci peut être de plusieurs ordres suivant les besoins et les cas : formation, recherche d’emploi, changement de métier, famille monoparentale, prévention en santé…. Dans ce cadre, les mutuelles ont toute leur place pour être dans l’accompagnement en santé. La Mutualité française est dans une approche qui place le patient au centre de son parcours de santé. Dans le même esprit, le « revenu républicain » s’intéresse à la personne dans sa globalité. Quelle est la recherche d’emploi si la prévention en santé est complètement délaissée ? On n’est pas dans une logique : versement d’un revenu pour solde de tout compte. Il faut associer à ce revenu de base un soutien dans tous les domaines.

– Concrètement, comment parvenir à la mise en œuvre de ce « revenu républicain » dans le « monde d’après » ?

Il est tout à fait possible de le mettre en œuvre. Il ne s’agit pas de faire table rase. Nous partons des acquis, de ce qui a été construit et qui est remarquable : la République, le système de protection sociale, le mutualisme qui est démocratique et non lucratif. Il s’agit, avec ce revenu de base, de compléter le pacte républicain.

Concrètement, nous avons noué un partenariat inédit avec le département de la Gironde, l’Institut des politiques publiques et le Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications), animé par l’économiste Daniel Cohen, et nous sommes parvenus à la rédaction d’une proposition de loi sur une expérimentation à l’échelon départemental, 18 départements étant partants. Celle-ci a été rejetée par l’Assemblée nationale le 31 janvier 2019, mais c’est un premier essai. On teste au maximum la capacité qu’aurait ce possible de devenir une réalité. Nous pensons qu’une convention citoyenne comme celle sur le climat pourrait débattre de cette mesure, notamment du volet financement. De ce point de vue, les propositions du « Pacte de pouvoir de vivre » dont fait partie la Mutualité française aux côtés d’associations et de syndicats sont déjà des pistes intéressantes.

Ceux qui sont contre n’arrivent pas à comprendre qu’on doit passer d’une société de compétition à une société de coopération. Il y aura toujours de la compétition, mais cela ne peut plus être la tonalité principale. Une société donne un ton. Les gens sont d’autant plus égoïstes qu’ils vivent dans une société égoïste.

Thierry Germain est aussi co-animateur, avec Jean-Laurent Cassely, du Cahier de tendances de la Fondation Jean-Jaurès qui vient de publier son premier ouvrage : La France qui vient (éd. de l’Aube, mars 2020) ; il est, par ailleurs, président d’Experiens21, société de conseil en innovation sociale dans les territoires. 

La Fondation Jean-Jaurès a publié sur le sujet : Revenu de base, de l’utopie à l’expérimentation, janvier 2019.