Pour Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France (FMF), le gouvernement actuel est responsable du surcoût de l’accès aux complémentaires santé. A la veille de l’assemblée générale de sa fédération, il nous explique pourquoi. Et il affirme la plus grande réserve sur la volonté du gouvernement d’aller vers une « grande Sécurité sociale ».
La santé est l’une des priorités des Français à quelques mois des élections présidentielles. Vous avez à ce sujet une liste de propositions à défendre…
Jean-Paul Benoit : Il n’est pas étonnant que la question de la santé soit l’une des principales préoccupations des Français. La pandémie que nous vivons a mis en évidence les multiples difficultés que rencontrent nos concitoyens pour accéder aux soins dont ils ont besoin. L’insuffisance et la désorganisation de la médecine de premier recours, le sous-financement des hôpitaux, et les atteintes au caractère solidaire de notre protection sociale ont pour conséquence la remise en cause de l’accès à des soins de qualité pour tous.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) vient d’être adopté par l’Assemblée nationale. Que faut-il en retenir ?
J.-P. B. : Ce PLFSS n’est pas à la hauteur des enjeux. Il n’aborde pas sérieusement la question de la réorganisation de la médecine de ville, qui est une priorité majeure pour répondre aux besoins de santé. Il n’apporte pas non plus de réponse à l’insuffisance du financement de la Sécurité sociale, qui a été encore pénalisé par les décisions du gouvernement de faire supporter à l’assurance maladie des dépenses injustifiées et de multiplier les exonération de cotisations sans même envisager de les compenser. Le résultat de ces graves inconséquences est le creusement de déficits historiques de la Sécurité sociale.
Et pendant ce temps, notre système de soins, et en particulier l’hôpital, continue de s’enfoncer dans des difficultés majeures. Le Ségur de la santé est loin d’avoir résolu la sous-rémunérations des personnels hospitaliers. Il est insupportable que des milliers de lits continuent à être fermés pendant la pandémie. Tout se passe comme si nos dirigeants ne tiraient aucune leçon du coût pharaonique de l’arrêt de l’activité économique dû en grande partie à l’insuffisance chronique du financement des hôpitaux.
« Tout se passe comme si nos dirigeants ne tiraient aucune leçon du coût pharaonique de l’arrêt de l’activité économique dû en grande partie à l’insuffisance chronique du financement des hôpitaux. »
Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France.
Depuis plusieurs semaines, le ministre de la Santé fait pression sur les mutuelles au sujet des possibles augmentations des cotisations. Que lui répondez-vous ?
J.-P. B. : Pour dissimuler les carences de sa politique, le ministre de la Santé cherche des boucs émissaires. La Mutualité avait prévenu que les soins annulés lors des confinements seraient inévitablement reportés, sans parler de l’aggravation de l’état de santé de beaucoup de patients du fait de ces retards. Nous savons aujourd’hui que c’est une réalité. Le rattrapage des soins auquel s’ajoute la taxe Covid de Messieurs Macron et Véran et le coût du reste à charge (RAC) zéro imposé par les mêmes, aboutit à un surcoût considérable pour les complémentaires. Dès lors, essayer de faire du chantage à l’augmentation des taxes pour retarder l’inévitable répercussion de cette politique de gribouille sur les cotisations mutualistes n’est qu’une démagogie préélectorale supplémentaire. Mais les mutuelles ont pour responsabilité de couvrir les besoins de santé dans la durée et elles ne peuvent donc pas se prêter à ce genre de manœuvre irresponsable. Ce gouvernement porte une très lourde responsabilité dans le surenchérissement de l’accès aux complémentaires santé, et donc à la santé, pour une partie considérable des assurés sociaux. »
Le Hcaam propose quatre sénarios pour l’avenir de la Sécurité sociale. Celui de la « grande Sécu » semble tenir la vedette. Quelle est votre position à ce sujet ?
J.-P. B. : Les Mutuelle de France sont, et ont toujours été, clairement pour une Sécurité sociale au plus haut niveau possible. Mais l’annonce de la volonté du gouvernement d’aller vers une « grande Sécurité sociale » n’est pas crédible. Qui peut croire sérieusement ce gouvernement qui réduit le financement de la Sécurité sociale par la multiplication des exonérations de cotisations, qui réduit les financements de l’hôpital, qui réduit les remboursements de l’assurance maladie, et dont le ministre de l’Economie a annoncé qu’il fallait réduire les dépenses sociales « qui coûtent un pognon de dingue ! », pour reprendre les propos d’Emmanuel Macron ; qui peut croire que ce gouvernement a réellement l’intention d’améliorer le niveau de la Sécurité sociale ? Ce n’est qu’un coup médiatique supplémentaire.
Au sein de la Mutualité, nous avons des propositions concrètes pour améliorer la couverture santé de tous les assurés sociaux. Ça commence par la remise en cause des dépassements de tarifs et d’honoraires. Il n’y a pas de bon remboursement s’il n’y a pas de tarifs de référence. Il faut également prendre en charge des soins qui ne sont pas du tout référencés dans la nomenclature de la Sécu : implantologie, parodontie…
La Sécurité sociale doit reprendre toute sa place dans la mutualisation des risques sur la base de la solidarité nationale. Ce n’est malheureusement plus le cas. Les politiques d’économie à la petite semaine menées par les gouvernements successifs ont multiplié les trous dans la raquette. Même sur l’hospitalisation, pourtant réputée comme étant « bien remboursée » par la Sécu, la pandémie a montré que le ticket modérateur hospitalier pouvait s’élever à plusieurs milliers d’euros.
Le reste à charge supérieur pour les malades ayant une affection de longue durée, théoriquement remboursée à 100 % par la Sécu, montre que la solidarité entre malades et bien portants n’est plus suffisamment efficace. Le reste à charge, notamment hospitalier, plus élevé pour les personnes âgées, montre également que la solidarité intergénérationnelle n’est plus convenablement assurée.
Si l’on veut vraiment une grande Sécu, un socle solide pour appuyer des complémentaires débarrassées de la sélection assurancielle, c’est à ces questions qu’il faut s’attaquer. Et non pas faire des promesses électorales qui, comme on le sait, n’engagent que ceux qui les écoutent.
Les Mutuelles de France ont formalisé dans leur cahier de propositions des solutions concrètes pour construire la protection sociale solidaire dont nous avons besoin. Sur cette base, nous nous inscrirons dans l’élaboration de la plate-forme de la Mutualité qui sera mise en débat à l’occasion des élections 2022. Espérons que nous pourrons ainsi sortir des polémiques irresponsables pour aborder sérieusement les solutions dont notre système de protection sociale et de santé ont besoin.