
C’est devenu une obsession gouvernementale. Un arsenal de contrôles a été déployé pour repérer les fraudeurs, à savoir les plus précaires. Pour les finances publiques, cette « fraude sociale » est pourtant bien moins préjudiciable que d’autres… D’autant que 80 % des fraudes à l’Assurance maladie sont effectuées par des professionnels et des établissement de santé.
De nouvelles « mesures fortes », un « durcissement des sanctions », des « moyens sans précédent » : les annonces faites, en mai 2023, par le gouvernement pour lutter contre la fraude sociale ne cachent rien de la sévérité affichée des pouvoirs publics en la matière.
Un an plus tard, le Premier ministre Gabriel Attal se félicitait des résultats et saluait des « performances historiques » concernant les « prestations sociales ». Si elle fait aujourd’hui l’objet d’un plan de lutte avec un déploiement de budgets conséquents, la fraude sociale n’avait pas de définition propre il y a encore deux décennies.
RSA et AME dans le viseur
« Cette expression est apparue dans les années 2000. Il s’agit du décalque direct de “fraude fiscale” », explique le sociologue Vincent Dubois. Cette récente déclinaison renvoie à la fois à la fraude aux cotisations sociales, qui correspond à des défauts de paiement des employeurs, et à celle s’appliquant aux prestations sociales, effectuée par les personnes bénéficiaires d’aides sociales et d’allocations.
« Mais la majorité des discours du gouvernement est orientée uniquement vers ce deuxième cas de figure et vise essentiellement les populations les plus précaires. Les initiatives développées par l’Etat se focalisent prioritairement sur des prestations comme le revenu de solidarité active (RSA), et, en matière de santé, sur l’aide médicale d’Etat (AME). »
Il y a une forme de tolérance concernant la fraude fiscale et “l’optimisation fiscale” est d’ailleurs une manière de jouer avec les règles. En revanche, des moyens importants sont mis en œuvre pour que la fraude sociale atteigne l’objectif inatteignable du “zéro fraude”.
Vincent Dubois, sociologue
Or, si on compare les montants des différentes fraudes, on s’aperçoit que celui des prestations sociales est bien moins conséquent que les autres. « Par définition, tout système génère sa propre fraude. Cependant, la question n’est pas tant son existence, mais plutôt son importance, poursuit Vincent Dubois. En effet, en termes d’enjeux financiers, d’autres types de fraudes comme celles aux cotisations sociales ou fiscales sont sans commune mesure. »

©123RF
Erreurs de l’administration
Il suffit de regarder le bilan 2024 du plan de lutte gouvernemental pour s’en rendre compte. Alors que la fraude fiscale s’élève à 15,2 milliards d’euros, celle qui se rapporte aux prestations sociales est d’1 milliard, soit 14,2 milliards de différence.
Par ailleurs, en décortiquant les chiffres de la Caisse d’allocations familiales (CAF) par exemple, il est plutôt intéressant d’observer que les « 400 millions d’euros de préjudice détectés » représentent seulement 0,44 % des 90 milliards versés chaque année par l’organisme. Et parmi ces sommes indues, beaucoup sont en réalité le fait de l’administration elle-même, et non celui de bénéficiaires, rappelle l’association Changer de cap.
Il peut aussi s’agir « d’erreurs non intentionnelles, qui sont dues à la difficulté des démarches administratives et informatiques », ajoute Valérie Pras, coordinatrice du collectif. Selon Vincent Dubois, « il y a une forme de tolérance concernant la fraude fiscale et “l’optimisation fiscale” est d’ailleurs une manière de jouer avec les règles. En revanche, des moyens importants sont mis en œuvre pour que la fraude sociale atteigne l’objectif inatteignable du “zéro fraude”. Avec cette volonté d’illustrer la capacité des pouvoirs publics à défendre la valeur suprême, en l’occurrence le travail, contre ceux qui frauderaient, les “assistés”. »
Algorithmes dédiés
Pour traquer les fraudes sociales, un organisme public n’a pas hésité à développer un algorithme spécifique. La révélation a été faite fin 2023. Le journal Le Monde, les collectifs Changer de cap et Stop contrôles, ainsi que l’association La Quadrature du Net, ont expliqué avoir identifié dans le code source de la CAF un système attribuant aux allocataires un « score de risque » à la fraude, officiellement justifié pour éviter les erreurs…
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